Apogée de l’art roman


Publié par la Gazette Drouot

Aussi imposante que paisible, cette grande tête de calcaire rechigne à nous livrer ses secrets. L’étude, complexe, nous mène sur la piste des rois de France et de l’abbaye de Saint-Denis.

Un grand mystère entoure cette tête d’homme sculptée. Coiffé d’un bonnet posé sur une chevelure aux mèches légèrement ondulées descendant sur les tempes, yeux en amande, paupières ourlées, joues émaciées, la bouche fermée entourée de moustaches tombantes et d’une longue barbe aux fines ondulations, le visage respire la sagesse. Est-ce un roi ? Est-ce un prêtre ? Un prophète ? La seule dans cette histoire à pouvoir parler, c’est la pierre, qui génère des hypothèses. Elle a, en effet, été analysée par la géologue Annie Blanc. Il s’agit selon ses mots « d’un calcaire blanc jaunâtre, fin, constitué de petits débris d’organismes marins, qui pourrait provenir des terrains du Lutétien exploités dans les anciennes carrières des environs de Carrières-sur-Seine (autrefois Carrières-Saint-Denis) ». Une conclusion étayée par le fait que, stylistiquement, tout rattache ce portrait à l’art roman du XIIe siècle, à commencer par son hiératisme. L’enquête menée par l’expert Benoît Bertrand permet rapidement d’écarter le couvent de Nanterre et la crypte de la basilique de Saint-Denis, parmi les ouvrages ayant utilisé de tels gisements, comme provenances possibles. Reste le cloître de Saint-Denis, seule piste retenue à ce jour. Les connivences formelles de notre œuvre, jusque dans ses dimensions, avec les sculptures du portail nord dit « des Valois » de l’abbatiale – dont les statues-colonnes furent détruites par les chanoines au XVIIIe siècle –, laissent à penser qu’elle a fait partie des productions impulsées par Suger au deuxième quart du XIIe siècle. L’abbé de Saint-Denis meurt en 1151, après avoir lancé la reconstruction du cloître : une entreprise spectaculaire, portée par une certaine effervescence intellectuelle, réunissant des artistes franciliens, liégeois et de la vallée de la Meuse, où l’art roman est à son apogée. Ce nouvel esprit le caractérisant – harmonie des proportions, souplesse, classicisme – se retrouve dans les quelques fragments du cloître présents au dépôt lapidaire de l’abbaye et dans divers musées, notamment sur les chapiteaux conservés au Metropolitan Museum de New York, témoins rares de ce grand chantier. Ces éléments poussent à conclure que la tête proviendrait d’une statue-colonne ayant pu se tenir dans l’embrasure ou soutenir le tympan d’un porche, celui du réfectoire par exemple ou de la salle capitulaire de l’abbatiale. 


 

LOT n°163

Tête de roi ou de grand prêtre en pierre calcaire sculptée avec traces de badigeon gris. Coiffé d'un bonnet reposant sur une chevelure aux mèches légèrement ondulées tombant sur les tempes, il a les yeux en amendes aux paupières ourlées, les joues sont émaciées, la bouche fermée entourée de moustaches tombantes et d'une longue barbe aux mèches formant des ondulations fines.
Ile de France, Cloître de l'abbatiale de Saint-Denis ?, deuxième tiers du XIIème siècle
H. 47 cm

 
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