LA MUSIQUE, UN MARCHÉ DE MAIN DE MAÎTRE


Publié par la Gazette Drouot

LA SOURCE DE TOUTE CRÉATION MUSICALE, IL Y A, JETÉS SUR UN SIMPLE FEUILLET, UNE PHRASE QUI S’IMPOSE, UN LEITMOTIV OU QUELQUES NOTES, PRÉCIEUSES PARCELLES DE GÉNIE MENANT LES ENCHÈRES ALLÉGRETTO.

Un soir de 1965, au Carnegie Hall, l’homme d’affaires new-yorkais Gilbert Kaplan assiste à l’exécution de la symphonie n° 2, dite « Résurrection », de Gustav Malher. Elle le bouleverse tant qu’il décide d’apprendre la direction d’orchestre, dans le seul but de la jouer lui-même ; un rêve qu’il réalisera enfin vingt ans plus tard. Hanté par la figure du compositeur viennois, il se mit en quête de ses reliques : sa baguette de chef, l’anneau offert à son épouse Alma, mais aussi la partition manuscrite de cette œuvre colossale longuement mûrie, entre 1888 et 1894, et incomprise en son temps. En tout, 232 pages avec leurs ratures et annotations, qui, le 29 novembre 2016, ont fusé à 4,54 M£ (5,32 M€) sous le marteau de la Sotheby’s, à Londres. Il s’agit bien sûr d’un record absolu pour ce type de document, qui, selon la maison américaine, n’a eu d’équivalent que la vente, par ses soins en 1987, des partitions de neuf symphonies autographes de Wolfgang-Amadeus Mozart pour 2,5 M£. Une enchère monumentale, certes, mais en accord avec la démesure mal- hérienne, comme avec le caractère exceptionnel d’un document intégral. Car la partition manuscrite ne se présente pas toujours sous cet aspect définitif : le plus souvent, le compositeur jette sur le papier le motif principal, quelques mesures, les développant parfois sur une dizaine de pages, avant de transcrire une ultime mouture.


DES THÈMES ET DES VARIATIONS
Il est donc plus courant de rencontrer des versions inachevées, voire des fragments, que des compositions complètes. Ainsi, à Paris le 18 juin 2015, chez Ader OVV, on retrouvait l’enfant prodige de Salzbourg avec une unique page, se rattachant à l’allégro du troisième mouvement de la Sérénade en ré majeur : pour ces 19 mesures inscrites recto verso en 1773, par un Mozart âgé de 17 ans, il fallait compter 131 250 €. En toute logique, la côte de ces quelques notes très désirables bat la mesure de la célébrité de son auteur. Ce qui se vérifie encore à chacune des apparitions en salle d’une partition de Maurice Ravel. Si le manuscrit de sa pièce la plus célèbre, Le Boléro composé en 1928, a été acheté par la BnF pour 1,8 MF lors de la vente organisée à Drouot par Mes Laurin Guilloux Buffetaud Tailleur (M. Bodin, expert) le 8 avril 1992, certains feuillets présentant la seule ligne du fameux thème hypnotique refont parfois surface. L’un était vendu 26 840 € le 17 juin 2016, lors d’une vente menée par Alde OVV, alors qu’un second, adjugé par la même maison, s’était stabilisé à 19 520 € le 15 avril 2013. Vedette de cette dernière vacation, le prolifique Jacques Offenbach livrait un ensemble de feuillets (dont sept signés) issus de l’opéra-comique La Créole, créé le 3 novembre 1875 aux Bouffes-Parisiens, qui avait alors changé de mains pour 33 540 €. Certaines ventes permettent également de remettre en lumière un auteur méconnu, voire spolié : ce fut le cas de la Sonate de Pâques autographe de 1828, longtemps attribuée à Félix Mendelssohn Bartholdy. Jusqu’au jour où la chercheuse Angela Mace reconnut l’écriture de la sœur du compositeur, Fanny, tout aussi géniale, mais dont les aspirations artistiques avaient été étouffées par sa famille. Une atteinte à sa mémoire largement réparée par les 55 800 € offerts le 28 novembre 2014 lors de la vacation orchestrée par Tessier-Sarrou & Associés.
Les génies modernes ne sont pas moins recherchés, à l’instar d’Olivier Messiaen. La calligraphie méticuleuse de ses partitions manuscrites, traduisant une rythmique novatrice, inspirée tant par les chants d’oiseaux que les modes hindous traditionnels, suscite déjà à elle seule l’admiration. Ainsi Le Merle noir, composition pour flûte et piano de 1952, sifflait 14 640 € le 17 juin 2016 chez Alde.


140 000 MANUSCRITS MUSICAUX
Ils sont conservés par la Bibliothèque nationale de France, à Paris, parmi lesquels 40 000 pièces antérieures à 1800 et environ 100 000 des XIXe et XXe siècles.