ENTRE CONFORMISME ET SUGGESTION

Publié par la Gazette Drouot

Michel Delon est spécialiste du XVIIIe siècle. Éditeur des Œuvres de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade et commissaire de l’exposition « Sade un athée en amour », en 2014 à la fondation Martin Bodmer, il est l’auteur de nombreux essais, dont Le Savoir-Vivre libertin (éd. Pluriel) et Diderot cul par-dessus tête (éd. Albin Michel).

Comment expliquer l’oubli qui a recouvert le théâtre de Sade ? 
Sade a été « découvert » par Apollinaire et par les poètes surréalistes, qui en ont fait une incarnation de la transgression radicale. Ils s’appuyaient sur les romans et sur le rouleau des Cent Vingt Journées de Sodome, qui venaient d’être éditées pour la première fois à Berlin, puis à Paris. Ce qu’ils pouvaient connaître des pièces de Sade, dont une seule avait été éditée de son vivant, leur apparaissait fade et conventionnel. C’est ainsi que Gilbert Lely, premier éditeur de ses œuvres complètes, à partir de 1964, a délibérément exclu ce théâtre « conformiste », comme si l’auteur s’y compromettait avec le goût de son temps, alors qu’il était vu par ailleurs comme prophétique et hors de son époque. Il a encore fallu attendre que Jean-Jacques Brochier édite quatre volumes de théâtre, et révèle ainsi tout un pan de la création de Sade. Jean-Jacques Pauvert et Annie Le Brun dans leur propre collection des œuvres complètes, lui ont également accordé une place importante.

En quoi cette écriture rejoint-elle la fougue de sa littérature libertine ?
Après la Révolution, à une époque où le théâtre devient un exercice sur les limites de l’illusion et un effort pour marquer la frontière mouvante entre le réel et le fantasme, ses pièces sont passionnantes par le tâtonnement qui s’y manifeste d’une écriture entre conformisme et suggestion, entre apparence et double discours. On n’y trouve aucune des violences érotiques qui caractérisent les grands romans anonymes, mais on y pressent la recherche d’une autre réalité. L’Union des arts, en particulier, est un grand spectacle de théâtre au second degré, où les personnages mettent en scène des pièces qui sont autant de variations sur la situation exposée.