LA MAITRISE DES HUGO AU SERVICE DE PICASSO


Nul doute qu’un grand nombre de personnes seront surprises de découvrir qu’elles ignoraient jusqu’à aujourd’hui, quatre ans après la mort du grand artiste, que dans la période entre 1956 et 1970, Picasso avait chargé un des orfèvres les plus éminents travaillant en France de nos jours, François Victor-Hugo, d’exécuter une série de plats, de compotiers et de médaillons en or et en argent d’après des modèles et des dessins originaux de lui. Leur surprise est compréhensible, car les magnifiques objets superbement repoussés à la main et richement décorés qui furent le fruit de cette collaboration, sont restés depuis leur création, pratiquement inconnus de tous si ce n’est d’un petit cercle de connaisseurs et d’amis des deux artistes.

Ces objets ne sont pas des « inventions » posthumes décorées avec des motifs cueillis dans diverses œuvres de Picasso : chacun a été personnellement choisi, conçu, vu, approuvé, et chéri par Picasso lui-même de son vivant. Toutefois, lorsque Picasso commanda les premiers plats à François Hugo, il a dû avoir l’intention de les garder pour lui-même et n’avait pas songé à autoriser l’exécution d’exemplaires destinés à être vendus au public. Au début, leur existence fut donc entourée de secret, Picasso se refusa à plusieurs reprises à les prêter pour des expositions et, bien qu’il fût émerveillé par les résultats obtenus et éprouvait une grande joie à contempler ces plats, il les dérobait à la vue de tous comme s’ils représentaient pour lui quelque trésor secret. Il est vrai que Picasso pouvait à l’occasion aller en chercher un ou deux dans un coin sombre de son atelier, ou sous un canapé, pour susciter l’admiration d’un ami intime ou d’un visiteur qu’il désirait particulièrement impressionner. Mais il se dépêchait ensuite de les cacher à nouveau donnant ainsi l’impression qu’il éprouvait une satisfaction particulière à la pensée que lui seul en était l’heureux propriétaire.

Par conséquent, très peu de personnes ont eu le privilège de voir ces plats au cours de leurs années de réclusion dans l’atelier de Picasso. Qui plus est, même lorsque Picasso eut enfin (en 1967) autorisé François Hugo à faire une petite édition numérotée de chacun d’eux pour la vente, seuls les amis qui se trouvaient visiter l’atelier de Hugo pendant qu’il était en train d’en exécuter un, avaient quelque chance de voir certains spécimens avant qu’ils ne soient expédiés à leurs acheteurs respectifs.

Point n’est besoin de vanter les mérites de ces remarquables objets d’art. La dextérité manuelle, le « métier » superbe et la sensibilité artistique que François Hugo dont le fils Pierre assume depuis peu une large part du dur labeur qu’implique l’exécution de ces plats, a su mettre au service de Picasso sont parfaitement évidents. De tels objets ne demandent donc pas de plus amples commentaires. Ils se justifientpar eux-mêmes et n’ont pas de signification particulière en dehors d’eux-mêmes.


Extraits de Douglas Cooper dans sa préface pour « Picasso, 19 plats en argent » par François et Pierre Hugo, Imprimerie Union, Paris, 31 mai 1977