Eventail en prose de Maupassant

Publié par Le magazine des enchères

Un décor floral et de fines scènes champêtres peintes sur la soie d’un éventail raffiné présente au revers quelques lignes à la plume.
Le mercredi 6 novembre 2013 à Paris, ce poème éventé rédigé par Guy de Maupassant sera mis aux enchères par l’étude Néret-Minet Tessier et Sarrou.
A Madame le Comtesse Potocka
Vous voulez des vers ? – Eh bien non,
Je n’écrirai sur cette chose
Qui fait du vent, ni vers, ni prose ;
Je n’écrirai rien que mon nom ;
Pour qu’en vous éventant la face,
Votre œil le voie et qu’il vous fasse
Sous le souffle frais et léger,
Penser à moi sans y songer.


Ces quelques lignes témoignent de la passion que l’écrivain français éprouvait pour Emmanuella Potocka, comtesse napolitaine installée à Paris. Célèbre pour son esprit, elle avait transformé son fastueux salon en un lieu de rendez-vous incontournable d’une élite d’écrivains, savants et lettrés. Au rang des privilégiés de cette cour surnommée le « cercle des Macchabés » figuraient entre autres Gabriel de la Rochefoucauld, Montesquiou, le duc de Luynes, et Maupassant.

Rencontré au cours d’un dîner mondain, le poète succombe rapidement au charme de celle que tout le monde appelait « la gamine » en raison de sa jeune beauté. Il se rend tous les jours chez elle, se livre à de diverses démonstrations d’allégeance et entretient avec celle-ci une correspondance soutenue. Preuve de cette admiration sans limites, la comtesse apparaît tour à tour dans de nombreux ouvrages de l’écrivain sous les traits de Christiane Andermatt dans « Mont-Oriol » ou encore de la baronne de Frémines dans « Notre-cœur ».

Parmi ces poèmes et lettres passionnées, l’auteur adresse deux quatrains à la Comtesse au dos d’un éventail de soie brodée et peinte à monture d’ivoire incrusté. Illustré d’un décor floral et de scènes champêtres associés à des fils de soie colorée ainsi qu’une ornementation de pierres dures, la finesse de cet éventail doublé révèle discrètement le poème autographe signé Guy de Maupassant.

« Je voulais vous envoyer d’ici un éventail avec quelques lignes » écrit-il dans une lettre datée du mercredi 21 août 1889, ce qui permet de situer approximativement l’envoi de ce poème insolite. Une période pourtant sombre dans la vie du poète : le 11 août, son frère Hervé est interné à l’Hôpital psychiatrique de Bron. Quelques mois plus tard, Guy sombrera lui-même dans la folie.

En 1882, Maupassant découvre l’art d’écrire des vers sur un éventail. Mentionnant dans sa chronique « Poètes » un éventail lyrique réalisé par Sully-Prudhomme, l’auteur est séduit par cet usage naissant : « Et pourquoi cette mode ne prendrait-elle pas de demander aux poètes de rimer avec un éventail, comme on demande aux peintres d’en colorier ? ». Dès le XIXe siècle en effet, de nombreux poètes et écrivains unissent leur prose à l’art de l’éventail. Parmi les plus célèbres, Stéphane Mallarmé développera cet art épigraphique durant les quinze dernières années de sa vie.

Notre éventail est estimé entre 25 000 et 30 000 euros. Au programme de la vente figurent également de nombreuses correspondances de grands noms tels que Claude Debussy, Victor Hugo et Boris Vian ainsi que des photographies d’artistes et écrivains.