Zhang Xiaogang, le peintre d’une génération

Publié par la Gazette Drouot

Comme une quête d’identité, les portraits d’anonymes de Zhang Xiaogang font renaître une mémoire qui s’est dissoute dans la Révolution culturelle chinoise

 


Zhang Xiaogang (né en 1958)
Portrait de jeune femme
Huile sur toile signée et datée 1996, 40 x 30 cm
Estimation : 120 000 / 150 000 €

Le regard fixe et le visage impassible – figé dans sa frontalité –, cette jeune fille peinte par Zhang Xiaogang est l’emblème de toute une génération, celle des enfants de la Révolution culturelle chinoise. L’artiste s’en est fait le porte-parole à partir de 1993, en peignant des portraits désincarnés, dissimulant un grand trouble émotionnel derrière des traits aussi calmes que l’eau, comme il le précise lui-même. Ils s’inspirent de photographies de famille en noir et blanc ayant échappé aux autodafés, alors que le Petit livre rouge de Mao Zedong, brandi sur la place Tiananmen le 18 août 1966, avait été érigé en valeur suprême. La couleur du Parti communiste chinois – qui évoque aussi celle du sang – et le vert des uniformes éclatent parfois dans la monochromie grise de ses portraits. Retournement ironique de l’histoire, ces puissants symboles deviennent alors le manifeste critique d’une époque. Le 22 décembre 1968, le journal officiel du régime édicte : « Il est indispensable que les jeunes instruits se rendent à la campagne pour y être rééduqués par les paysans pauvres et moyen-pauvres ». Zhang Xiaogang n’est qu’un enfant à l’annonce de cette mesure, qui concerne garçons et filles ayant terminé le collège, leurs études secondaires ou universitaires. Appliquée pendant plus de dix ans, elle a concerné près de 17 millions de jeunes déracinés, séparés de leurs familles et vivant dans des conditions difficiles. Ils tentent aujourd’hui de se reconstruire. Zhang Xiaogang, qui a eu la chance d’étudier à l’Académie des beaux-arts du Sichuan – dont il est sorti diplômé en 1982 –, s’est emparé de cette mémoire collective brisée en se lançant dans la série de portraits « Bloodline : Big Family ». Elle a agi comme un révélateur, la « génération perdue » se reconnaissant immédiatement dans ces œuvres dont la puissance se passe de mots. Le monde les a découvertes en 1995, à la faveur de la Biennale de Venise. De renommée internationale, leur auteur est désormais considéré comme l’un des plus éminents artistes chinois contemporains, au point que depuis une dizaine d’années, ses œuvres crèvent des plafonds. Il est rare de trouver un tableau de sa main sur le marché français. Cette jeune femme tout en maîtrise est à la fois emblématique de son travail et de l’âme chinoise moderne, tiraillée entre les diktats idéologiques d’hier et d’aujourd’hui, et s’interrogeant sur la place de l’individu dans la société.