Liu Bolin : "Je suis un artiste, c'est tout !"

Publié par Le Point

L'artiste chinois de 44 ans est connu pour se mettre en scène dans ses photographies, de telle façon que son visage et son corps se confondent dans le décor, jusqu'à quasi disparaître. Cet "homme invisible" – son surnom – est né en 2005 quand le gouvernement chinois a fait raser le quartier d'artistes dans lequel il vivait, le mettant à la porte de son atelier. Il se prit alors en photo en se mettant en scène devant les ruines.

Après sa belle exposition à la Maison européenne de la photographie en septembre, Liu Bolin a installé plusieurs de ses œuvres sur le thème du voyage dans les salons, restaurants et couloirs de l'hôtel de luxe Le Peninsula, avenue Kléber, près de l'Arc de triomphe. Mais Liu Bolin refuse qu'on le réduise à la photographie, pourtant un médium qu'il utilise beaucoup.


INTERVIEW.

- Le Point : Exposer dans un hôtel, quel sens cela a-t-il pour vous, vous l'aviez déjà fait ?
- Liu Bolin : Oui j'ai déjà été exposé dans un hôtel au Mexique. Vous savez, je ne me considère pas comme un « artiste international ». Ce qui compte, c'est créer. Quand je voyage pour mon métier, j'aime passer du temps à visiter les musées. Récemment j'étais à Rome. En arrivant à Paris, j'ai visité Beaubourg, les galeries d'art. À Rome, je préparais une exposition en repérant des lieux emblématiques de la ville.

- Quels sont vos artistes de référence ? Ceux de l'art classique, moderne, contemporain ?
- J'ai fait mon apprentissage d'artiste à l'école des Beaux-Arts à Pékin, mais ce sont Modigliani, Picasso, Andy Warhol, Francis Bacon qui m'ont le plus influencé. C'est difficile d'en expliquer les raisons, car ils sont bien sûr très différents. Je ne les ai pas découverts dans la même période mais étape par étape. Mais chacun a compté beaucoup pour moi et continue à le faire.

- Avez-vous eu envie de devenir peintre ?
- Non, même si je suis un bon peintre. J'ai surtout travaillé la sculpture, je la pratique même plus que la photographie dans mon atelier à Pékin. Disons qu'elle occupe 60 % de mon temps. Ce n'est pas forcément de la sculpture traditionnelle en pierre ou plâtre ou marbre… Par exemple, je récupère des installations de grilles pour composer des portraits en surimpression ou je travaille, je « tricote » avec des câbles de téléphone ou d'internet les liens qui unissent un homme et une femme représentés l'un face à l'autre. Il y a quatre ans, j'avais exposé la sculpture d'un poing géant devant le Grand Palais.

- Vous travaillez depuis plusieurs années sur le thème de la surconsommation. À côté de cela, vous posez devant l'objectif d'Annie Leibovitz pour la campagne de Moncler. La publicité ne pousse-t-elle pas à la consommation, voire à la surconsommation ?
- Moncler m'a donné carte blanche et je voulais évoquer les dangers du changement climatique. C'est pour cela que j'ai choisi le lieu, les glaciers d'Islande. Mon image disparaît au milieu d'eux. La surconsommation, je la traduis dans mes œuvres en utilisant ce qui est appelé à être jeté, à disparaître… Je veux refléter l'état de la société.


- Quand on parle de vous, on évoque souvent l'artiste contestataire. Vous vous reconnaissez dans cette image ?
- Beaucoup de journalistes étrangers pensent qu'à travers les œuvres des artistes chinois, il existe une contestation politique ! Lors de mon expo à la MEP, tous les journalistes ont évoqué la politique. Moi je suis un artiste et je n'ai à ma disposition que mon matériel, mes idées, ma créativité. Je n'ai aucun pouvoir militaire, financier, politique pour parler ! Je suis un artiste, c'est tout !

- Le principe de la disparition que vous utilisez relève donc plus d'une volonté esthétique que politique ?
- Je mets en avant l'effacement de la personne ou de la personnalité face à quelque chose d'une ampleur qui l'écrase, ce peut être la surconsommation, l'Histoire, etc. J'évolue comme et avec la société : par exemple je viens de m'inspirer des hackers en créant sur le Web une série où je disparais et réapparais en pénétrant sur un territoire qui m'est étranger ou impossible à atteindre, comme un hacker. Et, non, je vous assure, je ne crains pas d'être enfermé dans le piège de la disparition.