LUCIEN COUTAUD (1904-1977)


Musique des champs
Paravent composé de quatre panneaux peints sur toile.
Signé et daté «Coutaud 1937».
Dimensions: 190 x 218 cm (Restaurations anciennes)

Exposition: Célébration national du centenaire Lucien Coutaud, musée départemental de la tapisserie, Aubusson 2004, avec un détail du paravent ayant servi pour l'affiche de cette exposition.

Bibliographie: Art et Décoration N°4 Janvier Février Mars 1947 page 211


(.....) Que l'on songe à l'importance du rôle joué par Dufy ou Lurçat, on est en droit de ranger Lucien Coutaud et peut-être même de lui réserver une place toute particulière, car il est sans doute presque le seul parmi ses contemporains à s'être intéressé de façon aussi naturelle et spontanée à des domaines fort éloignés de la peinture de chevalet. Pour lui c'est un besoin, une véritable vocation impérative. Il se dépense avec une bonne grâce alerte et vivante, sans le moindre préjugé, heureux au contraire de se mesurer aux difficultés chaque fois renouvelées que lui offre l'exécution d'une commande de décor de théâtre, de tapisserie, ou de tapis. Dans son esprit il n'y a pas de partage possible: il vise qu'à satisfaire son désir d'expression tout en obéissant aux exigences du matériau auquel il a recours ou du problème d'adaptation formelle qui lui est posé.
Possédant en propre un esprit de fantaisie et une vive imagination il en use librement et nous propose un univers bien personnel, construit avec une extrême habilité, où le peintre et le décorateur se mêlent en se confondant. Chaque oeuvre se trouve justifiée par sa puissance expressive et répond rigoureusement, quelqu'en soit le motif, à un égal souci de plastique et d'harmonie. A la fois artiste et artisan, il lui donne une valeur de pure création et s'applique pour autant à dégager la solution la plus appropriée sans accorder crédit au jeu du hasard ou aux caprices de l'exécutant.
Si depuis vingt ans Coutaud est parvenu peu à peu à imposer un style qui, aujourd'hui, fait largement école, c'est bien parce que son intervention est celle d'un authentique créateur dont la vision originale est un rapport constant avec l'esprit même de notre temps et se refuse avant tout à se présenter comme un exercice de virtuosité ou un reflet de la mode.
L'ingénuité charmante et déjà riche d'invention qu'il prodigue dans ses premiers décors: Les Oiseaux, en 1926 pour Dullin et La Vie en Rose , en 1932 pour la Compagnie des Quinze, correspond étroitement à celle qui se manifeste alors dans sa peinture. Mais au fur et à mesure que son langage s'affirme et se précise, gagne en acuité et en gravité, ses décors pour Plutus ou Comme il vous plaira, se définissent avec plus de rigueur et d'ampleur. les divers travaux qu'il exécute durant ces années 1935 à 1938: cartons de tapisserie pour Madame Cuttoli, paravents, peintures murales pour le Palais de la Découverte ou l'Institut des Sourds-Muets, le conduisent à donner plus de densité à son écriture, trouver une économie plus stricte pour accroître sa couleur et manifester son sentiment de l'espace.
Mais en fait, il est depuis longtemps déjà maître de cet univers de féerie dans lequel il nous promène avec une élégante désinvolture, et qui n'appartient qu'à lui. S'il se rencontre parfois avec les surréalistes par son goût de l'étrange et un certain maniérisme apparent, c'est là simple coïncidence d'époque. Il exprime lui aussi à sa façon le malaise, l'inquiétude, l'irréalisme plein d'équivoque de notre temps et l'on verra suffisamment comment durant ces dernières années son art, tout en conservant sa fine ironie bucolique, deviendra plus agressif et se chargera de tout le drame que nous vivons. Ce lyrisme imaginatif qu'il développe d'instinct n'est jamais gratuit et ceux qui depuis quelques années au Salon de ‘Imagerie ou ailleurs avaient cru pouvoir puiser un répertoire formel et s'en approprier, s'avouent aujourd'hui incapables de manipuler autre chose qu'un monde désagréable de fantoches sans consistance.
Intimement recréé, sans cesse renouvelé par la sensibilité, l'univers de Coutaud conserve toujours, au contraire, une agissante spiritualité qui s'inscrit dans les oeuvres décoratives ou es tableaux comme une force bien vivante, offrant grâce à son pouvoir de dépaysement, le plus heureux stimulant pour le spectateur. L'oeuvre elle-même se pare d'une étonnante séduction par le charme précieux de ses harmonies et de son graphisme incisif autant que par le caractère poétique de son interprétation.
Cependant elle doit son plus sûr attrait non pas tant à ses arabesques qu'à ce goût sévère de l'ordonnance et cette intelligence du rythme et de la couleur qui se dissimulent sous la plus heureuse luxuriance. Ces qualités sont à la base de réussites comme les décors du Soulier de Satin ou les dernières tapisseries dont les discrètes et subtiles assonances et tous parviennent pourtant à donner l'illusion d'une extrême somptuosité.
Elles expliquent, en le justifiant sans peine, l'ascendant que Coutaud exerce de plus en plus autour de lui et nous assurent que son art, malgré un évident baroquisme, est riche d'exemples et de possibilités. l'absurde délivré par notre monde aveugle n'est-il pas chez lui assujetti à nouveau à la raison et exploité avec un humour plein de noblesse pour faire refleurir notre espoir en la Vie.
Gaston DIEHL, extrait article ART ET DECORATION 1947