Art chinois ancien : des prix record sur fond d'histoire militaire trouble

Publié par Les Echos

La seconde guerre de l'opium et la présence militaire française dans ce qui était l'empire du Milieu ont nourri les collections françaises dont des bribes resurgissent encore sur le marché de l'art aujourd'hui pour atteindre des prix record.

La scène se déroule le 18 octobre 1860. Au cours de ce qu'on appela « le sac du Palais d'Eté », des troupes anglaises et françaises brûlent et pillent la résidence estivale de l'empereur de Chine. L'objectif du conflit, entamé en 1856, consiste pour les deux puissances occidentales à élargir leur commerce sur ce vaste territoire, par ailleurs particulièrement affaibli politiquement.
Le palais, situé à 15 kilomètres de Pékin, a été conçu comme un lieu de pouvoir, mais aussi de grande sophistication esthétique par les empereurs Yongzheng puis Qianlong. Ce dernier, personnage charismatique considéré comme l'homologue de Louis XIV en France, fait encore aujourd'hui rêver les enfants du communisme. De ce pillage en règle, les Chinois gardent toujours à l'heure actuelle un profond sentiment d'humiliation qui s'est manifesté, entre autres, lorsque l'homme d'affaires et partenaire d'Yves Saint Laurent, Pierre Bergé, a mis aux enchères chez Christie's en 2009 deux têtes en bronze du zodiaque chinois. Dessinées par l'ecclésiastique italien Giuseppe Castiglione pour Qianlong, elles ornaient la très sophistiquée horloge aquatique du Palais d'Eté.


Des prix multipliés par 4 en cinq ans
Selon un spécialiste qui tient à rester anonyme, le marché français s'arrange aujourd'hui pour passer sous silence la provenance « Palais d'Eté », qui est devenue un handicap auprès des officiels
chinois. Car, aujourd'hui, les acheteurs de ce type d'objets exceptionnels sont principalement des Chinois (et plus rarement des Américains). Ces riches hommes d'affaires constituent des musées privés ou offrent à l'Etat des pièces afin d'être favorablement considérés par le pouvoir. Selon l'expert parisien Thierry Portier, « depuis cinq ans les prix, pour les pièces hors du commun, d'origine impériale, etc., ont été multipliés par trois voire quatre ». Mais le paradoxe dans cette spécialité tient au fait qu'elle est infestée de faux excellemment copiés.

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Le 16 décembre, toujours à l'hôtel Drouot, l'étude Tessier-Sarrou présente encore un ensemble d'objets chinois importants. Treize dessins préparatoires à des gravures, exécutés sur ordre de Qianlong, répertorient les jardins et bâtiments du Palais d'Eté. Un album ressemblant, mais plus complet, est conservé à la Bibliothèque nationale de France. Aucune provenance n'est donnée pour ces feuilles estimées en tout à 20.000 euros.
La vente contient aussi dix lots qui appartenaient à Robert de Semallé, secrétaire d'ambassade à Pékin entre 1880 et 1884. En vedette, une cloche de cérémonie en bronze doré abondammentdécorée, datée de l'époque Kāngxī (1662-1722). Utilisée au sein de la Cité interdite, selon l'expert Thierry Portier, il s'agirait « du sommet de la production d'instruments de musique de l'époque ». Elle est estimée 200.000 euros, mais devrait atteindre un prix largement supérieur sachant aussi que sa provenance n'a rien à voir avec le sac franco-britannique devenu tabou...