Décadence et renaissance de Chiparus

Publié par la Gazette Drouot

Déesse, danseuse, on ne sait trop. Les bras croisés haut au-dessus de sa tête, la jeune femme au corps d’ivoire est assise dans la position du lotus. C’est vrai qu’elle est supposée représenter Çiva, troisième divinité du panthéon hindouiste, qui détruit pour amener l’apparition d’un monde nouveau. Il est l’époux de la belle Parvati, symbole de la mère universelle. Le titre de cette sculpture ne correspond donc pas à cette sorte d’almée sortie de l’imagination d’un Bakst. L’important ici est d’offrir une version affriolante d’une danseuse, peut-être orientale. Chiparus est né en Roumanie, à la frontière de l’Ukraine. De sensibilité slave, attiré par les patries mères des arts – l’Italie et la France –, il décide après des études à Florence de s’installer à Paris, en 1912. La période connaît des bouleversements esthétiques, qui s’amplifient après la guerre, et des changements sociaux non moins considérables. Le temps est à la fête, aux rythmes syncopés venus des États-Unis, occasion rêvée pour montrer ses jambes, libérer son corps sous des robes tuniques fluides. L’artiste saisit l’air du temps et se consacre à des séries de danseuses, privilégiant la sculpture chryséléphantine, c’est-à-dire associant bronze et ivoire. Un article de La Tribune de 2007, sur ce type d’objets, précise que « la référence artistique est l’œuvre, prolifique, du roumain Demeter Chiparus, dont le coup de main est particulièrement reconnaissable. Après quelques dessins, l’artiste réalisait une “plastiline”, un matériau ductile comme l’argile qui prend sa forme définitive en durcissant. Le fondeur assemblait le travail d’ivoire et la patine de métal, puis le tout était peint à froid. Enfin, un socle, en marbre ou en onyx, complétait la statuette. » Les fontes étaient ensuite patinées, argentées et dorées, émaillées ou peintes. Il prend pour modèles des artistes du music-hall, pour le choix des poses mais également les costumes, dont il fignole les détails. Ainsi, le dieu hindou, souvent représenté en danseur mystique, est devenu une bayadère directement inspirée d’une photographie parue dans le magazine Paris-Plaisirs en juin 1926. Ignorées par la critique, ses œuvres étaient appréciées des amateurs, non seulement en France mais jusqu’en Amérique du Sud et aux États-Unis, lui assurant un train de vie confortable. Pendant la guerre, les fonderies durent diminuer si ce n’est cesser leur activité ; le goût n’était plus à ce kitsch superficiel. Quelque trente ans après sa mort, ses réalisations redeviennent à la mode. En 2014, un musée art déco privé ouvre à Moscou, et expose un important ensemble de statuettes de Chiparus.

Vendredi 1er juin, salle 10-16 - Drouot-Richelieu.