Bernard BUFFET, artiste de marché

Publié par la Gazette Drouot

Le peintre expressionniste a crée à lui seul une manière inédite de représenter le monde. Comment l'art et son marché ont-il réagi aux innovations de cet artiste, au coeur d'une grande rétrospective au musée d'Art Moderne de la ville de Paris ?

Bernard Buffet (1928-1999) n’était pas un homme de concession. Malgré sa grande timidité, il a connu une vie tumultueuse et a rapidement épousé la célébrité. Enfant terrible et précoce, né à Paris, il s’est dirigé vers le dessin et la peinture dès l’enfance et intégrait en 1942 l’École nationale supérieure des beaux-arts, dans l’atelier d’Eugène Narbonne, tout juste âgé de 15 ans. C’est là, rue Bonaparte, qu’il a rencontré Maurice Boitel et Louis Vuillermoz, qui allaient devenir les promoteurs de la «jeune peinture» de l’école de Paris, dont Bernard Buffet demeure l’un des plus célèbres représentants. À l’époque, Paris était encore une capitale de l’art en effervescence : il s’y passait la moitié des transactions dans le marché de l’art occidental  et ce, jusqu’au milieu des années 1950 environ  et la peinture était en pleine explosion. Les géants Picasso ou Matisse côtoyaient sur les cimaises des galeries des courants naissants, comme la nouvelle école de Paris ou la jeune peinture. Les débats autour de la question des réalistes, de la figuration et de l’abstraction faisaient rage, et Bernard Buffet a apporté sa pierre à l’édifice en renouvelant tout un répertoire de formes et de sujets. 

Glorieuses décennies 
Au sortir de la guerre, Bernard Buffet est accroché dans divers salons  celui des moins de trente ans en 1946, aux Indépendants en 1947, puis le Salon d’automne l’année suivante. Il remporte plusieurs prix, qui lui assurent très vite stabilité financière et reconnaissance du marché. C’est à cette époque qu’il réalise la toile Deux hommes dans une chambre (1947), récipiendaire du prix de la critique en 1948. En 2013, Artcurial cédait à Paris cette œuvre historique, estimée entre 200 000 et 250 000 €, pour 323 986 €. En 1955, la revue Connaissance des arts le classe n° 1 sur la liste des meilleurs peintres de l’après-guerre ; en 1958, sa première rétrospective se tient à la galerie Charpentier  il a 30 ans. Très riches, la fin des années 1940 et la décennie suivante sont les périodes de Bernard Buffet les plus prisées par les collectionneurs. Cette quinzaine d’années représente environ un tiers du chiffre d’affaires total de Bernard Buffet, sur une carrière de près de soixante ans ; sur ses dix meilleures ventes, cinq datent de cette époque de production.

Buffet, la cote au Japon 
Sa renommée connaissant une internationalisation grandissante, Bernard Buffet inaugure son musée éponyme fondé par le collectionneur Kiichiro Okano, au Japon en 1971. Banquier japonais, Kiichiro Okano (1917-1995) fut frappé de passion pour Buffet, découvert en 1963, année d’une rétrospective consacrée au peintre à Tokyo. Aujourd’hui encore, Bernard Buffet se vend très bien au pays du Soleil-Levant. Environ 1 600 œuvres y ont été dispersées depuis 1986, pour un résultat total de 20 M$  soit 11 % de son produit global de ventes aux enchères  et un taux d’invendus, très faible, de 17 %. En 2011, la maison Mainichi Auction y cédait Montmartre, le campanile du Sacré-Cœur (1967) pour 240 000 $, puis Clown au chapeau melon fond rouge (1977) en 2015 pour 440 000 $. Le record de l’artiste sur l’île date d’une vacation organisée par l’étude parisienne Ader-Picard-Tajan en 1989, durant laquelle Venise (1957) partait pour 460 000 $. Comment expliquer cette histoire d’amour ? Peut-être par le trait de Bernard Buffet, incisif et épuré, ajouté à un traitement de l’espace se rapprochant de la tradition japonaise de l’estampe. 

Un faible nombre d’expositions 
À son retour en France, le Musée postal de Paris lui consacre une grande rétrospective en 1978, après la commande d’une maquette pour un timbre de trois francs, L’Institut et le Pont des arts. Bernard Buffet est alors plutôt boudé par les institutions françaises. Toute sa vie, l’artiste a connu un grand succès populaire et a eu tendance à rejeter le monde de l’art… qui le lui a bien rendu. Bernard Buffet a bénéficié de moins d’une centaine d’expositions depuis les années 1950  et plus en Allemagne qu’en France ! Pourtant, il a connu quelques belles expositions à l’étranger, à l’Institut français de Berlin, au musée d’Art moderne de Tokyo, au musée Pouchkine de Moscou, à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou au musée Hyundai de Séoul, par exemple. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris (MAMVP) s’apprête ainsi à réparer ce qui peut apparaître comme une injustice. L’institution accueille du 14 octobre et jusqu’au 26 février 2017 une vaste rétrospective proposant une relecture de l’œuvre de Bernard Buffet, qui, selon les commissaires de l’exposition, reste finalement peu connue, passées les images iconiques de clowns tristes, de paysages ou de nus. Pourquoi le MAMVP ? Tout simplement parce qu’il s’agit de l’unique institution publique française possédant une importante collection des œuvres du peintre. Ceci grâce à deux legs, dont le premier a eu lieu en 1953  le legs Girardin  et le second en 2012 par la donation d’Ida et Maurice Garnier, son marchand historique. Avec une centaine de peintures, la commissaire de l’exposition Dominique Gagneux propose ainsi de reconsidérer l’héritage encore controversé du peintre.

Un artiste de marché 
Boudé par les institutions, Bernard Buffet a tout de même pu compter sur le soutien sans faille de son marchand, Maurice Garnier. Jean Bouret déclarait même en 1958 : « Maurice Garnier est entré dans la peinture de Bernard Buffet comme on entre en religion. » Bernard Buffet a été un artiste prolifique. Il a réalisé quelque 8 000 toiles, aquarelles, lithographies, dessins ou gravures. Ceci peut expliquer pourquoi sa cote n’a pas explosé après son décès en 1999, contrairement à nombre d’autres artistes. Atteint de la maladie de Parkinson, il a donné fin à ses jours dans son atelier du domaine de la Baume. Toutefois, sa cote augmente depuis le début des années 2000. En moyenne, ses œuvres s’échangeaient pour 15 300 $ entre 1995 et 1999, 21 000 $ entre 2005 et 2009 et 23 000 $ à partir de 2010. Depuis 1986, près de 10 800 œuvres (dont bon nombre d’estampes) de Bernard Buffet ont été proposées aux enchères, dont 8 200 ont trouvé acquéreur. Cela représente un taux d’invendus de 24 %, un chiffre assez élevé. L’ensemble représente tout de même la bagatelle de 187 M$, pour un prix moyen par lot vendu de 22 600 $ et un prix médian de 1 651 $. Le record de Bernard Buffet revient à Christie’s qui cédait, le 22 juin 2016 à Londres, 
Les Clowns musiciens, le saxophoniste (1991) pour 1,5 M$. Auparavant, il était l’apanage d’une peinture de 1955, Le Cirque, clowns musiciens, adjugée 5,5 MF (1,1 M€) le 13 juin 1990 à Lyon, par l’étude Anaf. 

L’Hexagone en bonne position 
En France, malgré le silence des institutions, le marché rugit. L’Hexagone a accueilli certaines de ses meilleures ventes. Ainsi, en 1996, l’étude Kohn cédait à Paris Le Grand Clown (1955) pour 2,4 MF (469 000 $). L’année suivante, c’est Tajan qui cédait un Christ en croix, une toile de 1946 marouflée sur panneau, pour 3 MF. Plus récemment, en 2014, la maison Fraysse & Associés a adjugé Bernard David en torero, toile qui faisait partie de la succession de l’épouse du galeriste Bernard David, pour 311 750 €. En tout, il s’est dispersé sur l’Hexagone quelque 3 400 œuvres de Bernard Buffet pour un produit total de 58 M$. Cela représente un tiers du marché de l’artiste, aussi bien en volume qu’en valeur, faisant de la France le lieu privilégié pour vendre les œuvres de Bernard Buffet, devant les États-Unis et le Royaume-Uni. Un bon cycle qui n’est pas près de s’enrayer avec la rétrospective que prépare le MAMVP.

 
75 000 $ 
PRIX MOYEN d’une peinture de Bernard Buffet.
Compter 1 600 $ pour une estampe et 18 500 $ pour un dessin.