Tous pour un !


Publié par la Gazette Drouot

Plusieurs fois dissous mais jamais défaits, les mousquetaires ont écrit leur part de l’histoire de France, qu’il s’agisse de la grande ou de la petite... et c’est bien cela qui plaît.

Quatre cents ans déjà que les mousquetaires existent, et presque deux siècles qu’ils nous font rêver. Il aura fallu qu’un auteur français du XIXe siècle, passionné d’histoire, Alexandre Dumas père, s’intéresse à la leur pour les faire ainsi entrer dans la légende. Le plus célèbre de ses romans paraît d’abord en feuilleton dans le journal Le Siècle, de mars à juillet 1844, avant d’être publié à la fin de la même année. Au travers des aventures d’un impétueux Gascon, ce sont celles d’un corps créé en 1622 par le roi Louis XIII qu’il met en lumière. Réalité et fiction croisent le fer – pour la plus grande joie des lecteurs, aussi enthousiastes hier qu’aujourd’hui –, à tel point qu’il est toujours difficile de démêler le vrai du faux. Mais le faut-il ? Avec Dumas, la littérature de cape et d’épée est née, et une compagnie ressuscitée : à chacun de s’en emparer selon son bon vouloir, aux enchères notamment où la célèbre devise « tous pour un » prend tout son sens.


En garde !
Revenons à 1622. Louis XIII, monarque prudent malgré sa grande jeunesse – il a 20 ans à peine – et surtout en guerre contre les protestants, détache cinquante carabins de la compagnie des chevau-légers de sa garde pour former une unité indépendante, que l’on qualifierait aujourd’hui « d’élite ». Il décide de doter ses membres d’un mousquet plutôt que d’une carabine ; puissante mais lourde, ne pouvant être utilisée qu’à pied, l’arme à feu est raccourcie et allégée afin de convenir aux cavaliers. Les mousquetaires sont nés, chargés de la protection rapprochée du roi lors de ses déplacements, et souvent en première ligne lors des assauts. Ces fiers Gascons reçoivent la casaque bleue fleurdelisée, témoignage de leur appartenance à la Maison du souverain. Réputés que- relleurs et bravaches, ils n’en apprennent pas moins à obéir, bénéficiant d’une formation militaire complète ; et lorsqu’ils quittent la compa- gnie, ils intègrent un régiment en tant qu’officiers. Leur première bataille, celle du siège de Saint-Martin-de-Ré en 1627, se solde par une éclatante victoire ! Méfiant, Mazarin prenant le
prétexte de leur turbulence, les dissout une première fois en 1646 avant que Louis XIV, déjà royal, ne les reconstitue en 1657. La première compagnie est désormais connue sous le nom des « mousquetaires gris » en raison de la couleur de la robe pommelée de ses chevaux, la seconde, fondée en 1663, regroupant les « mousquetaires noirs », selon le même critère. Chacune se compose de deux cent cinquante hommes, tous logés au plus près du roi. Un manuscrit vendu chez Artcurial le 11 mars dernier témoigne du grand intérêt que le monarque leur portait : dans ce livre de dépenses de bouche de Louis XIV, découvert à 9 100 €, est précisément indiqué le menu des repas donnés « à chaque brigade des mousquetaires lorsqu’ils sont en garde près Sa Majesté ».


Immortels héros
Avant sa dissolution définitive, le 1er janvier 1816, le corps des mousquetaires a été plusieurs fois aboli et réintégré. En 1775, c’était par souci d’économie, mais déjà au cours de ce XVIIIe siècle, l’on avait beaucoup moins fait appel à sa bravoure – ses derniers véritables combats se déroulent durant la guerre de Succession d’Autriche, de 1741 à 1748 –, le cantonnant à un rôle de garde de prestige auprès du souverain. Cependant, le climat de grand péril sur la personne du roi en 1789 le fait renaître, avant que la Révolution ne le supprime. C’est finalement Louis XVIII qui, après l’avoir récréé comme marqueur de la monarchie française, signe le 1er janvier 1816 son acte de dissolution définitive. Si la durée de ce retour fut expéditive, c’est pourtant de cette période que subsistent le plus grand nombre de témoignages – soubrevestes, casques et épées que l’on voit régulièrement apparaître sur le champ de bataille des enchères. À son intégration, chaque mousquetaire devait débourser trois mille francs en échange d’un équipement complet, d’un cheval et de son armement, seuls le mousquet et le fusil étant fournis. Alors que ceux du XVIIe siècle sont rarissimes, les souvenirs de cette époque passent nombreux en salles des ventes et y sont âprement disputés. Reconnaissons qu’ils ne manquent pas de superbe... Les casques surtout, avec leur bombe de cuivre plaqué d’argent, leur cimier en laiton doré estampé à décor de fuseau enflammé, la jugulaire en écaille argentée et une crinière rouge ou noire, dessinent une noble allure ! Pour plus de prestance encore, un bandeau déploie la devise des Compagnies : Alterius Jovis altera tela (« Les autres foudres d’un autre Jupiter ») pour la noire, Quo ruit et letum (« Où elle tombe, la mort aussi ») pour la grise. Le 12 juin 2020, un modèle de 1814 portait fier à 25 600 € chez Ader ; un autre, destiné à un commandant retenait 18 900 € à l’Hôtel des Ventes Orléans-Madeleine le 18 décembre 2021, alors que celui ayant coiffé un trompette sonnait 27 798 € à Dijon, chez Cortot & Associés, le 6 février 2021. On peut noter une belle constance dans les résultats. Parmi les autres pièces de l’équipement, se trouvent le sabre – un exemplaire de la seconde compagnie, dite « noire », tranchait 9 088 € chez Ader (même vente) – et la soubreveste. L’une au fameux bleu de roi de la première compagnie s’affichait à 8 932 € le 24 novembre 2017 chez Thierry de Maigret : une grande croix en passementerie d’or et d’argent y brillait.


De cape et d’épée
En 2014, le musée de l’Armée a consacré une exposition à ces héros qui parlent tant à notre imaginaire. Le propos fort intéressant était de croiser les liens entre la littérature et l’histoire. Rarement un roman entremêle à ce point les deux : sans Les Trois Mousquetaires, le siège de La Rochelle, l’histoire des ferrets de la reine, les noms de Richelieu et de Buckingham seraient-ils autant entrés dans la postérité ? Pour écrire son ouvrage de vulgarisation historique, Dumas s’est plongé dans les chroniques du temps, celles du duc de La Rochefoucauld ou du comte de Brienne, homme d’Église et d’État, mais encore dans Les Mémoires de Monsieur d’Artagnan de Gatien Courtilz de Sandras – lui-même ancien mousquetaire. Oui, le sieur d’Artagnan a bien existé et toute ressemblance n’est pas fortuite. Il se nommait Charles de Batz de Castelmore, né vers 1612 dans une famille bourgeoise devenue noble après s’être enrichie par le commerce, et est décédé le 25 juin 1673, atteint – ironie du sort – par une balle de mousquet sur le champ de Maastricht. En revanche, ses trois acolytes Athos, Aramis et Porthos sont très librement inspirés de personnages ayant vécu, tandis que Milady et la douce Constance sont purement inventées. Outre l’ouvrage, dont les éditions originales se négocient à plusieurs dizaines de milliers d’euros – 94 785 € sous le marteau de Binoche et Giquello en octobre 2017 –, on trouve régulièrement des peintures dévoilant leurs nobles figures. Ernest Meissonier (1815-1891) et surtout celui qui s’en est fait une spécialité, Ferdinand Roybet (1840-1920), en sont les principaux auteurs. Du second, des Mousquetaires devisant sur un panneau se gaus- saient de 7 808 € chez Ader (15 novembre 2019), un coquet exhibait pour 9 525 € sa cape rouge de mousquetaire du cardinal chez Beaus- sant Lefèvre (5 juin 2019), alors que des Messes basses se tenaient à 5 080 € sous le marteau de Magnin Wédry, le 26 juin 2020... Au début des années 1880, Gustave Doré (1832-1883) reçoit la commande d’une statue de d’Artagnan pour le dos du monument érigé en souvenir de l’écrivain, place du Général-Catroux dans le 17e arrondissement de Paris. Ce fut sa dernière réalisation, il meurt quelques mois avant son inauguration. Le 10 avril 2013, une maquette en plâtre (h. 63 cm) de cette œuvre apparaissait chez Artcurial, d’où elle repartait victorieuse de 169 500 €.
L’histoire officielle regorge de noms connus de mousquetaires. Outre celle du noble Eberhard von Harling (1665-1729), un protégé de la Palatine peint par Hyacinthe Rigaud (24 677 €, Farrando, 22 octobre 2021), on y trouve des figures inattendues, celle du duc de Saint-Simon (1675-1755), le célèbre mémorialiste du règne de Louis XIV, celle aussi de Théodore Géricault qu’Alexandre Dumas rencontra en 1824, peu de temps avant sa disparition. Le peintre romantique fut en effet l’un des derniers mousquetaires du roi. Attiré par l’armée, les uniformes et les chevaux, il s’engage le 1er juillet 1814 dans la compagnie des mousquetaires gris de la Garde royale. En mars 1815, après le retour de Napoléon de l’île d’Elbe, il escorte le roi lors de sa fuite vers Gand. Alfred de Vigny, lieutenant dans la compagnie des Gendarmes du roi, raconte qu’ils étaient poursuivis par les lanciers de l’Empereur. À Béthune, la Garde royale est renvoyée sur ordre de ce dernier. Géricault prend alors le chemin du retour déguisé en charretier, et se réfugie chez un oncle durant les Cent-Jours. La grande et la petite histoire sont définitivement étroitement mêlées... 


14 Mars 1844
Les lecteurs du Siècle découvrent un nouveau feuilleton en première page de leur revue, les Trois mousquetaires.


Adjugé : 3 840 €
Ferdinand Roybet (1840-1920)
Mousquetaire, vers 1880
Huile sur acajou
81 x 65 cm
Paris, Hôtel Drouot, 22 juin 2021. Tessier & Sarrou et Associés OVV.