Julien Gracq et les surréalistes

Correspondance de Nora Mitrani à Julien Gracq lorsque ce dernier séjournait dans sa maison de St-Florent-le-vieil
59 lettres autographes signées « Nora », sauf une, et 8 cartes postales autographes signées, sous enveloppes à l'exception d'une lettre
 


Publié par la Gazette Drouot

Traduites dans vingt-six langues et publiées de son vivant dans la Pléiade, les œuvres de Julien Gracq, de la bibliothèque familiale et du fonds d’Henri Parisot, dialoguent avec les surréalistes.

Dormeurs éveillés, réfugiés hors du temps, les personnages de Julien Gracq sont profondément inspirés par le surréalisme. L’un des grands chocs esthétiques de son parcours, après Stendhal et Wagner, est d’ailleurs cette première rencontre à Nantes avec André Breton. L’écrivain évolue pourtant à contre-courant. S’il ne suit pas les codes traditionnels du roman, ce stoïcien fataliste n’adhère pas pour autant à la révolte et refuse l’avant-garde du Nouveau Roman. Mais son amour des grands ensembles, des paysages et des vues lointaines le pousse à habiter poétiquement notre monde. Solitaire et réservé, Julien Gracq est profondément marqué par son Anjou natal – notamment les traces de la guerre de Vendée – et par la Première Guerre mondiale. Son imaginaire puise ses racines dans ces événements qui appellent à la distance, à un horizon immé- morial, confus et insaisissable. Gracq partage encore avec les surréalistes une envahissante fascination pour Lautréamont et les tentatives de transgression. Henri Parisot, éditeur et compagnon de route des surréalistes, fréquente la librairie José Corti et ses auteurs, dont l’un des plus fidèles est justement Julien Gracq. Les deux ensembles dispersés, la bibliothèque familiale de l’écrivain (40 lots) et le fonds Henri Parisot (74 numéros), dialoguent et esquissent un bel aperçu du « Surréalisme dans tous ses états », pour reprendre l’intitulé de la vente.


Du romantisme noir au surréalisme
Signées de son vrai nom – Louis Poirier –, treize lettres et six cartes adressées à Henri Parisot (5 000 / 6 000 €) depuis Quimper, Saint- Florent-le-Vieil, Caen et Paris, forment un précieux témoignage des débuts littéraires de Gracq. Ce dernier confie à Parisot quelques exemplaires de son premier roman et s’y enquiert de l’avancée des recherches des surréalistes. Refusé par Gallimard, Au château d’Argol paraît en 1938 aux éditions José Corti. Tirée à mille cinq cents exemplaires par La Technique du livre à Paris, celui dédicacé à sa sœur Suzanne, à qui il remettait tous ses textes, est présenté ici à 5 000 / 7 000 €. L’œuvre est saluée par André Breton comme le véritable roman surréaliste qu’il attendait. C’est pourtant avec Le Rivage des Syrtes (1951) que Gracq laisse entrevoir la pleine dimension onirique de son œuvre. L’ouvrage est d’emblée qualifié par l’écrivain Antoine Blondin d’« imprécis d’histoire et de géographie à l’usage des civilisations rêveuses ». Dédicacé à sa sœur, l’un des quarante exemplaires de tête sur papier de Rives est estimé 25 000 / 30 000 €. Le texte préfigure les zones frontalières d’Un balcon en forêt, paru en 1958 (3 000 / 5 000 €), imprégné de merveilleux, né de l’irruption surréaliste d’une guerre mondiale et de destructions en plein cœur de l’Europe. Le goût du romanesque se teinte de ses premières amours, héritées de Jules Verne, la géographie, mais aussi du romantisme noir de Lautréamont, habité par les châteaux arthuriens, les rivages et les lisières, faisant dire à Michel Tournier que Gracq est un « romancier paysagiste », un écrivain de la contemplation et de l’attente perpétuelle.