Dora Maar et Pablo Picasso



Ce n’est pas une jeune fille fragile et démunie que Paul Eluard lui fait rencontrer à la terrasse des Deux Magots, mais une femme au caractère déjà bien trempé et célèbre. Égérie, comme beaucoup d’autres de sa génération, du surréalisme, amie de Breton et de Brassaï, qui la forma avec Man Ray à la photographie, elle dirige un studio où elle fait poser mannequins et figures du Tout-Paris. C’est au moment où Picasso traverse une période sèche qu’elle entre dans sa vie. Son tempérament affirmé plaît à Picasso, il aime en elle sa liberté, son assurance presque virile (elle s’habille d’ailleurs souvent en homme), son autorité naturelle et le feu intérieur qui la brûle et dont il a pressenti la violence.

Les années au cours desquelles il vivra avec elle sont des années de plomb. L’Histoire s’invite dans la vie euphorique et créative de Saint-Germain-des-Prés. La guerre d’Espagne va raviver son identité et, prenant parti pour les Républicains, il se lance dans l’aventure de Guernica (1937). Dora Maar suivra la progression de l’œuvre en exécutant un véritable reportage sur le tableau en train de se faire : c’est une première en photographie, et Dora s’y investit pleinement. Picasso travaille avec elle, ils sont tous les deux dans la fusion créatrice. Mais sa nature d’ogre l’empêche de poursuivre l’expérience. Est-ce lui qui va l’empêcher finalement de poursuivre son travail de photographe et lui en demander le sacrifice ? Toujours est-il que, par amour, Dora Maar abandonne sa passion et, sur les conseils de Picasso, s’initie à la peinture.

De muse et d’amante elle va devenir son modèle. Il lui consacrera de très nombreux tableaux dont, pour certains, il ne se séparera jamais. Il la peint pleurant : « Pour moi, admet-il, [Dora] est une femme qui pleure. Pendant des années, je l’ai peinte en formes torturées, non par sadisme mais par plaisir. Je ne pouvais que donner la vision qui s’impose à moi, c’était la réalité profonde de Dora. »

Elle fut un épisode majeur dans la vie amoureuse de Picasso. Mais la puissance créatrice et boulimique du Minotaure ne sut se satisfaire de cet amour unique. Dora Maar pouvait néanmoins en tirer orgueil, car cette décennie funèbre fut à coup sûr la période la plus brillante et la plus forte de Picasso...