Des goûts et des couleurs



On pourrait imaginer un proverbe « Des goûts et des couleurs, on ne discute point »
Peut-être Magritte commente-t-il la nature arbitraire de l'expérience personnelle.

Les gouts et les couleurs et l'huile du même titre constituent la troisième variation de Magritte sur le tableau de rideaux La Joconde de 1960 (Sylvester, N°922 ; collection particulière), et poursuivent un thème qu'il avait activement exploré cette année-là. Cependant, les éléments spécifiques dont sont faits les rideaux - feu, forêt, ciel et maison - remontent à une période bien antérieure et se retrouvent dans Le masque vide, 1928 (Sylvester, N°285 ; National Museum of Wales), Les six éléments, 1929 (Sylvester, N°321 ; Philadelphia Museum of Art), et Seuil de la liberté, 1930 (Sylvester, N°326 ; Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam).

Magritte, dans sa lettre à André Bosmans du 24 avril 1962, a tenu à préciser que pour lui, les rideaux ne représentaient pas « l'idée de se cacher », mais qu'ils étaient plutôt ce qui se cachait. En fait, ils semblent presque révéler au spectateur les éléments dont ils sont faits, et abordent l'idée de dualité qui est au cœur de nombreuses œuvres de Magritte.

« Ce sera un assemblage de rideaux, l'un "comme ciel", un autre "comme feu", un autre "comme forêt" et un autre "comme maison" », écrivait Magritte à Bosmans en 1962. « Ils apparaîtront sur un fond sombre. Goûts et couleurs me semble un bon titre pour cette image... ».


« il ne s’agit pas d’étonner par quelque chose mais que l’on soit étonné d’être étonné »
René MAGRITTE


Harry Torczyner et René Magritte

Harry Torczyner (1910-1998) était un avocat, critique d'art américain et régulièrement conseiller politique. Après la guerre, Torczyner devint un avocat de renommée internationale, tant par ses activités juridiques auprès d'artistes comme Georges Simenon dont il fut le conseiller, qu'en tant qu’essayiste.
Grand collectionneur d'art moderne, Torczyner était le propriétaire d'œuvres de Balthus, Bacon, Alechinsky, Christo, Dibbets, Klee, Ernst, Ozenfant, Matta, Segal, De Chirico et, bien sûr, de Magritte. La plupart de ces « peinturlures » (comme disait Magritte) résidaient dans son cabinet d’avocats international (celui de New York City).
En 1957, Magritte fait la connaissance de Harry Torczyner, un avocat new-yorkais originaire d’Anvers. Également collectionneur, il avait déjà acquis une œuvre du peintre en 1948, Le Thérapeute. Torczyner deviendra le conseiller juridique de Magritte et jouera un rôle actif dans la promotion de son œuvre aux États-Unis. Il fut ainsi incontournable dans l’organisation de la rétrospective majeure que le Museum of Modern Art de New York consacre à l’artiste en décembre 1965. Celui-ci est aussi l’auteur d’une monographie consacrée à Magritte (Harry Torczyner, René Magritte : signes et images, Paris, Draeger, 1977).