Les Folies d'Elsa Schiaparelli

Publié par Lisa & The Fashionistas

Schiaparelli. Voilà un nom qui évoque l'Italie, le luxe, la décadence, la haute couture, Dalí, le surréalisme mais aussi une couleur : le rose. Derrière ce nom, une aristocrate prénommée Elsa, née à Rome en 1890. Sa maison ? Le Palais Corsini à Rome, demeure construite en plein cœur du quartier médiéval du Trastevere pour la famille du pape Sixte IV (1471-1484).
 
La petite Elsa grandit dans une famille érudite entourée d'un père directeur de la bibliothèque Lincei et professeur de littérature orientale, et une mère descendant des Médicis. Dans une famille aristocrate, la jeune fille n'est pas intéressée par les études académiques et rêve plutôt de théâtre et de comédie. Elle entreprend des études de philosophie et publie deux ans après un recueil de poèmes traitant d'amour, de sensualité, de mysticisme. Inspirés par le mythe de la nymphe Aréthuse, la famille Schiaparelli est choquée par les écrits de la jeune fille et décide de l'envoyer dans un pensionnat en Suisse. L'expérience n'est pas concluante pour Elsa qui décide d'entreprendre une grève de la faim.
Un an plus tard, en 1913, elle reçoit une invitation pour se rendre en Angleterre. En chemin, elle s'arrête à Paris où elle découvre les avants-gardes, les bals et les manières de s'habiller pour se rendre à ces fameux bals. Invitée à l'un d'entre eux, elle décide d'acheter un pan de tissu bleu et l'ajuste sur elle pour en faire une toilette.
Passé dix jours dans la capitale française, Elsa se rend à Londres et assiste un soir, à une conférence sur la théologie donnée par le Comte Wilhem Wendt de Kerlor. Ils se marient en 1914 et partent pour les États-Unis deux ans après. Sur le paquebot, elle se lie d'amitié avec la femme du peintre dada Picabia qui l'introduira auprès des plus grands artistes du début du XXe siècle, comme Marcel Duchamp ou Man Ray. Arrivée à New York, Elsa Schiaparelli est tout de suite séduite par la modernité de la ville, les mœurs libérées de ses habitants. Les femmes jouent au tennis et au golf, conduisent leurs voitures... Elles sont libres. Dans cette atmosphère frénétique, et tandis que le comte théosophe a quitté le foyer, Elsa donne naissance en 1920, à une petite fille prénommée Yvonne. Les médecins détectent chez l'enfant la poliomyélite. Elsa Schiaparelli décide alors de rentrer en Europe pour soigner sa fille. Elles s'installent à Paris.

Le jour, Elsa travaille chez un antiquaire tandis que la nuit, elle fréquente Le Bœuf sur le Toit, restaurant où se réunit le tout-Paris. Un jour, elle accompagne une amie à un essayage chez le couturier Paul Poiret, connu pour ses modèles excentriques à l'esthétique orientaliste. Elsa en profite pour essayer quelques modèles du célèbre couturier (alors en perte de vitesse face à l'arrivée d'une jeune fille à la coupe garçonne, Coco Chanel). Paul Poiret décèle tout de suite le caractère atypique de la jeune femme et pense qu'elle ferait une bonne représentante de sa maison. Il lui prête donc quelques modèles. Elsa Schiaparelli découvre ainsi un monde fait de luxe, de broderies, de créations, de fantasmes, de rêves... Cette expérience va marquer un tournant dans la vie d'Elsa qui entreprend alors une activité de styliste free-lance.
L'italienne laisse alors exploser son imagination et sa créativité. Elle conçoit alors ce qui sera le début d'une nouvelle grande aventure : un pull en maille tricoté main orné d'un motif en trompe l’œil noir et blanc. Un « chef d’œuvre » selon Vogue qui introduira la collection de la toute jeune styliste dans ses pages.
 

Collection « Zodiaque »
 
C'est en 1928 qu'Elsa Schiaparelli décide de concrétiser officiellement son travail en installant ses ateliers, salons et bureaux au 4, rue de la Paix. A l'entrée, on lit « Schiaparelli – Pour le Sport ». Les collections commencent alors à s'enchaîner et on ne peut plus arrêter la folie créatrice d'Elsa qui imagine des maillots de bains, des pyjamas pour la plage, des imperméables combinant à la fois, la laine, la soie et le caoutchouc, des combinaisons avec zips, des motifs abstraits de tortues, de squelettes, des robes noires et blanches réversibles, des coupes aérodynamiques, des jupes-culottes... Quatre collections sont présentées chaque année. La renommée d'Elsa Schiaparelli devient internationale. La créatrice rencontre un succès notable aux États-Unis où ce mélange de haute couture et de sportswear séduit tout particulièrement.
 

Elsa Schiaparelli et Salvador Dalí

Très proche des cercles artistiques, Elsa décide de mettre à contribution peintres, sculpteurs, écrivains pour certains modèles de ses collections. On retrouve ainsi l'écrivain Elsa Triolet et le sculpteur Alberto Giacometti confectionnant quelques bijoux, tandis que Salvador Dalí crée avec elle des pièces devenues légendaires et prouvant une nouvelle fois que les frontières entre l'art et la mode sont infimes. On retrouve ainsi un tailleur à poches-tiroirs, chapeau-chaussure, robe squelette, robe homard créée en écho au Téléphone Aphrodisiaque de l'artiste espagnol... Schiaparelli et Dalí conjuguent art et mode pour créer des objets innovants, rompant avec la tradition. Schiaparelli est une rebelle, une provocatrice. Elle est libre et audacieuse. Elle créé une mode conceptuelle, artistique, à mille lieux des créations de sa grande rivale Coco Chanel qui dit «L'«Italienne» déguise les femmes, moi, je les habille ! ». Elsa voit la mode comme un art qu'elle combine aux grands courants artistiques de l'époque. Ainsi, outre Dalí, Jean Cocteau réalise pour la créatrice des dessins que l'on retrouve sur des manteaux, des vestes... La mode de Schiaparelli est innovante, fantasque. Les gants se parent d'ongles rouges, les sacs se voient agrémentés de piles pour produire de la lumière. Schiaparelli crée des concepts.

L'aboutissement de cette folie créatrice géniale a lieu en février 1938. Cette année-là, Elsa présente la collection « Le Cirque ». Devant un public composé de têtes couronnées, de stars de cinéma, d'artistes, d'hommes politiques, les mannequins défilent vêtues de boléros brodés d'éléphants, de chevaux, d'acrobates, des chaussures dégorgeant de longs poils noirs renvoyant au tableau de Magritte « L'Amour désarmé » (1935). L'art de Schiaparelli est à son apogée. Le succès est retentissant et les commandes affluent. Schiaparelli crée ainsi des femmes affirmées, uniques : «Une cliente Schiaparelli n'avait pas à savoir si elle était belle, elle était typée ».
 

Elsa Schiaparelli dans les Salons de sa Maison de Couture

Entre temps, la maison Schiaparelli devient en 1935 « Schiaparelli – Pour le Sport, Pour la Ville » et déménage ses salons au 21, Place Vendôme. Investissant ainsi sur cinq étages et quatre-vingt-dix-huit pièces l'Hôtel de Fontpertuis.

1937 est l'année Schoking Pink. Tout d'abord sous les senteurs d'une fragrance composée de jacinthe, de bergamote, de narcisse, d’œillet, de rose, de benjoin, de santal, de vétiver, de patchouli, de vanille et de miel. Puis sous forme de couleur avec une vision chromatique : celle d'un pigment pur, non dilué, intense. Un rose éclatant devenu un des symboles de la marque Schiaparelli.

La seconde guerre mondiale vient mettre entre parenthèse cette effusion créatrice. Elsa se bat tout d'abord pour maintenir l'activité de sa maison souhaitant conserver le plus grand nombre possible d'emplois. Elle crée des vêtements fonctionnels avec zips et grandes poches, sacs intégrés aux manteaux... Néanmoins, en 1941, Elsa se voit contrainte de quitter la France pour les États-Unis et laisse la direction de sa maison à son bras-droit jusqu'à son retour en 1945.

Dès la Libération, elle ouvre ses ateliers et crée à nouveau, des parfums (Roy Soleil, Zut, Succès Fou). Le succès est encore au rendez-vous. La créatrice fait la couverture du magazine américain Newsweek et est encensée par le New York Times. Mais malgré ce retour triomphale, Elsa Schiaparelli constate que le monde de la Haute Couture a changé. Elle décide de fermer sa maison en 1954 et se consacre à l'écriture de son autobiographie Shocking Life. C'est lors d'un soir de 1973, qu'Elsa Schiaparelli s'endort pour ne plus jamais se réveiller. Elle laisse derrière elle une maison dont Dalí dira : « C'est là qu'eurent lieu des phénomènes morphologiques ; c'est là que l'essence des choses allait être transsubstantiées, c'est là que la langue de feu du Saint-Esprit de Dalí allait descendre ».