L’éclosion du japonisme chez Lalique


Publié par la Gazette Drouot

Ce précieux pendentif et son sautoir, création du tournant du siècle, illustrent l’inventivité de René Lalique et sa capacité à nourrir son imagination d’influences lointaines.

Sa finesse d’exécution et sa poésie auraient séduit une star de la grande époque, Gina Lollobrigida. Bien qu’il ne soit pas certain que ce pendentif et son sautoir lui aient appartenu, on imagine aisément la belle italienne parée d’un tel éclat. Pièce unique conçue aux environs de 1899-1901, ce bijou illustre la singularité de la « patte » René Lalique. Par ses matériaux tout d’abord : dès les années 1880, se démarquant de Boucheron et surpassant Alphonse Fouquet, Lalique innove par son choix de matières peu usitées – corne d’ivoire, émail, perle ou nacre – et de pierres semi-précieuses. Chez lui, ce sont les matériaux qui se plient au dessin et à la forme, et pour ce faire, l’artiste multiplie les différentes techniques selon les effets de couleur et de transparence souhaités. En somme, le travail artistique prime sur la valeur du support. Des paysages de Champagne dans lesquels a baigné son enfance, Lalique reproduit la faune et la flore avec une précision quasi scientifique – iris, orchidées, magnolias, fleurs de cerisier, pavot, chauves-souris, libellules, guêpes, cygnes, papillons… Ici, c’est la glycine qui est sublimée. Si, dans le langage des fleurs, la variété à fleurs violettes délivre un message exigeant visant à réclamer l’amour de l’autre, les blanches sont l’expression d’une confiance réciproque. Ses lianes sont si robustes qu’elles peuvent tordre des grilles de fer et abattre des piliers de pierre. Claude Monet et Edmond Rostand ont contribué à la populariser dans les jardins. En mai 1888, dans une lettre adresséeà son confrère Émile Bernard, Vincent Van Gogh écrit à propos de cette plante ligneuse : « Sous ces lustres d’améthystes on croirait voir danser encore Sarah Bernhardt. » Quant à René Lalique, son attachement à cette espèce se poursuit sur plusieurs décennies : en 1920, il crée le flacon « Glycines », le long duquel une floraison lente et délicate prend racine. Près d’un siècle plus tard, en 2016, la même manufacture réinterprète cette création dans des vases et coupelles. C’est au répertoire japonais, révélé au monde occidental à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris en 1867, que l’art nouveau emprunte ses motifs floraux. Une claque pour les artistes français, qui se soulevaient à l’époque face aux dérives de l’industrialisation à outrance et à la persistance de styles anciens sclérosés. Leur soif de création a pu être étanchée par la poésie et le raffinement des arts nippons, le vaste éventail de leurs thèmes, leur gamme pastel et leur goût pour la fabrication artisanale. En l’espace de trois décennies, le virus japonisant contamine le Tout-Paris : le Louvre reçoit des œuvres japonaises en 1884 via le legs d’Adolphe Thiers, Pierre Loti publie Madame Chrysanthème en 1887, le musée Guimet ouvre en 1889, le musée Cernuschi en 1898, et pour l’Exposition universelle de 1900, le marchand Hayashi Tadamasa importe des chefs-d’œuvre du Japon, parmi lesquels figurent quelques pièces de la collection de l’empereur Meiji.