Quand Léger retrouve ses racines

Publié par la Gazette Drouot

Sur cette toile de 1939, le peintre du monde moderne met en scène des éléments puisés dans la nature. Une œuvre témoin pour cette période particulière, où il revient à la grande tradition picturale.

 


Fernand Léger (1881-1955)
Nature morte aux trois fruits, 1939
Huile sur toile, signée «F. LÉGER» et datée «39» en bas à droite,
au dos contresignée «F. LÉGER» titrée et datée «39»
65 x 92 cm
Estimation : 600 000 / 800 000 €

 
Trois étranges fruits posés sur une table verte, dotés de tiges et de protubérances complexes, donnent son nom à la Nature morte signée par Fernand Léger (1881-1955). Tout indique, dans cette composition puissamment rythmée, sa période de réalisation – la fin des années 1930 –, aussi bien l’utilisation des couleurs primaires que la présence d’éléments végétaux se confrontant aux objets de la vie quotidienne. Autant de motifs alors récurrents dans l’œuvre du peintre, et qui composent une grammaire décorative dont on pourrait s’amuser à dresser l’inventaire. Des fruits donc, souvent coupés en deux et laissant voir alors, en leur délicates entrailles, noyaux et pépins ; ou encore des noix, dont les cerneaux, aux formes ondulées, fascinent particulièrement l’artiste. Des feuillages également, qui envahissent volontiers la toile ; tandis que troncs et racines déchiquetés y prennent place, de manière assez symbolique, surtout après 1940. Dans le règne animal, le peintre prélève la figure griffue de l’araignée, qu’il a déclinée tout au long de l’année 1938, et qui apparaît ici, à droite. Car pour Léger, « la Beauté est partout, dans l’objet, le fragment, dans les formes purement inventées »… Ces éléments humbles, Léger aime les collecter lors de ses séjours dans sa Normandie natale, où il possède une chaumière à Lisores, située dans le bocage du Pays d’Auge. Au cours de ses promenades dans les chemins creux et les bois, il ramasse feuilles mortes, branches, silex, os de mouton, pommes tombées, vite intégrés à ses compositions. Tandis que d’autres, agrandis, comme sous un microscope, deviendront le sujet unique d’une œuvre. Loin de l’esthétique mécaniste explorée par l’artiste dans les années 1920, notre composition illustre parfaitement ce retour à la figure et à l’humain, qui le préoccupe avant son exil pour les États-Unis. Répertoriée sous le numéro 1056 dans le catalogue raisonné rédigé par Georges Bauquier (Adrien Maeght éditeur, 1998), cette très vivante « nature morte », présente aussi l’avantage de provenir de la collection Frank Elgar ; sous ce pseudonyme se cache Roger Lesbats (1889-1978), un célèbre écrivain et critique d’art parisien. Admirateur du cubisme et des arts premiers, il fut l’un des grands amis de Fernand Léger, dont il ne possèdera pas moins de neuf œuvres. Acquise par ses soins auprès de la galerie Louis Carré, notre toile a ensuite effectué un brillant parcours international, puisqu’elle connut les honneurs d’une exposition, consacrée au maître, par le Kunstforeningen de Copenhague en 1951, ainsi que ceux de la rétrospective « Léger », organisée au Centre culturel de Fukuoka au Japon, en 1972.