Vente tsuba

Publié par LE BULLETIN  Association Franco Japonaise

Hiver 2018

Le 8 février dernier, l’étude Tessier-Sarrou dispersait à Drouot un bel ensemble de 120 tsuba d’une même collection, d’un niveau rarement vu ces dernières années. Les amateurs de prouesses d’orfèvrerie de Meiji étaient au rendez-vous.
 


La vente démarra crescendo avec des tsuba sukashi classiques, Akasaka, Kyô-sukashi, Bushû, Chôshû etc. toutes de belle facture, dont les prix scillèrent entre 300 et 600 € (au marteau). Relevons en passant la 12, une tsuba en fer ajouré en ronde bosse à décor d’un bosquet de bambou, signée 州住正弘 Inshû no jû Masahiro. Les tsuba d’Inaba ont toujours du charme. 650 €.
Passons sans transition au n° 28 : Belle pièce en shakudô-nanako à fukurin d’or, décorée de tiges euries de hechima (Luffa aegyptiaca), signée 桃花翁英 Tôkaô Teru[aki], (Katô Teruaki) . Elle m’était familière car elle gurait en hors texte en couleur dans mon “tora no maki”, autrement dit mon anti-sèche : Tsuba no kantei to kanshô (Expertise et appréciation des tsuba) de Tsuneishi Teruaki (1974). Par quel tour de passe- passe se trouvait-elle là ? C’est la vie aventureuse de nos chères rondelles, tant qu’elles ne restent pas bloquées dans les réserves poussiéreuses d’un musée de province...1 600 € pour cette tsuba que je continuerai d’admirer dans mon bréviaire favori, en soupçonnant l’auteur d’avoir eu un faible pour Teruaki, son homonyme.
Sautons à la 41, en shakudô ciselée de vagues en furie, au sein des- quelles un dragon d’or poursuit la perle sacrée, anonyme dans le gout d’Ômori Teruhide. Pour acquérir ce monstre cupide, il fallait se mouiller à 6 800 € (8 500 € avec les frais) sur une estimation à 2 000 €. On pouvait pro ter du calme qui suit la tempête pour s’emparer de la 49, une tsuba ronde en fer décorée de bambous luxuriants en nunome-zôgan d’or, signée 岡俊 次 Oka[moto] Toshitsugu, 4ème maître de la famille Okamoto de Hagi en Nagato (c. 1820) pour le prix raisonnable de 500 €.
Les amateurs de pièces martiales se disputèrent la 64, classique roue Hoân de l’époque Momoyama, malheureusement bidouillée postérieurement par l’ajout d’un hitsuana trilobé en shakudô. Le pedigree Gonse aida à la hisser à 950 €.
Suivent une série de grosses pointures : La 83, une superbe pièce en fer décorée en hira-zôgan des sept dieux du bonheur regroupés sur l’hémiface gauche, regardant avec ravissement un kakemono représentant un pin. Signature si bavarde qu’on croirait lire un roman chinois : 於東武小石川御 館ニ水府小臣紫峰迂叟貞幹鐫, “Ciselé par Teikan, dit Shihô Usô, le ‘Vieux éloigné du Pic Mauve’, vassal du Seigneur de Mito, dans sa résidence de Koishikawa à Edo. Pour bien saisir le sens de cette inscription il faut savoir que shihô 紫峰, le “Pic mauve” est une métaphore poétique qui désigne le mont Tsukuba à Mito, dans l’actuelle préfecture d’Ibaragi d’où Teikan est originaire. A cette époque, il a rejoint son daimyô de la branche Mito des Tokugawa dans sa résidence d’Edo à Koishi- kawa (dont il subsiste le Kôra- kuen, un des plus beaux jardins de Tokyo). Adjujée à 2 900 €, somme raisonnable pour cette tsuba d’un des plus grands ciseleurs de Meiji. N’oublions jamais que ciseler du fer, c’est tout autre chose que de ciseler du bronze !
Suivait la 84, une tsuba XXL de 10,5 cm de haut, en sentoku à décor en takazôgan de cuivre et shibuichi. Le motif de cette tsuba représentant Wasôbyôe, le “Gulliver nippon”, debout sur l’extrémité de l’auriculaire (non pas du pouce, comme dit le catalogue) d’un géant accoudé sur le Mont Fuji, avait mobilisé une page entière de la Gazette Drouot. Comme souvent sur ces belles médailles de bronze qui n’ont de tsuba que le nom, le visage du géant envahissait le seppadai au point qu’on se demandait ce que le nakago-ana venait faire là. Sur le revers, signature 楊翠子Yôsuishi, date Kôka 2 (1845). Yôsuishi est un nom d’artiste d’Adachi Mabaya (1823-1899) élève de Wada Isshin. Une tsuba géante à motif de géant ne pouvait pas partir à petit prix. Résultat des courses : 4 600 €.
 


Il fallait faire un gros effort supplémentaire pour acquérir la 88, véritable tour de force d’orfèvrerie multicolore, dont le sujet avait échappé à la sagacité de l’expert : l’impératrice Jingû Kôgô (4ème siècle ?), la “Sémiramis nipponne”, présidant la signature de l’acte de soumission d’un des rois des trois royaumes de Corée, les deux autres ayant déjà déposé leur empreinte palmaire sur le document. Le motif de cette tsuba, à la fois mythique
et prophétique si l’on songe à l’annexion de la Corée par le Japon soixante ans plus tard, était emprunté à une illustration d’un livre de Hokusai (ou plus probablement son élève Taitô II) de 1840 : Jingû kôgô sankan taiji 神功皇后三韓退 治 (La conquête des trois royaumes de Corée par l’impératrice Jingû). Le seppadai mentionnait : 倣北 齋意 萩谷勝平. “Inspirée de Hokusai, Hagiya Katsuhira”. Date au revers : printemps 1846. Katsuhira (1804-1886) élève de Seijôken Motozane, fut depuis 1844 attaché au service du Daimyô de Mito, où il vécut jusqu’à sa mort. L’impératrice Jingû consentit à se livrer à son tour, moyennant nances : 8125 € TTC.
Toujours plus haut, toujours plus fort, la 103. Egalement signée Hagiya Katsuhira, cette grande pièce pleine d’humour, de 9,2 cm de haut en sentoku à décor iroe-takazôgan, représentait Asahina Saburô, le héros herculéen du XIIIème siècle (et non pas Rochishin, héros chinois du Suikôden !) disputant impavide une partie de kubi-hiki contre un oni qui trichait en se faisant aider. Le kubi-hiki se poursuivit dans la salle entre les deux derniers enchérisseurs. Résultat : sur une estimation de 3 000 € le vainqueur l’emporta en lâchant 10 125 € TTC !
Redescendons sur terre avec la 105, une pièce ronde en fer sukashi et kin-zôgan intéressante par sa composition très décorative : deux tympans de tsuzumi (tambour d’épaule utilisé dans le théâtre Nô) au dessus de vagues en furie. Le sens sibyllin de ce motif est l’expression poétique nami no tsuzumi, “le tambour des vagues”, qui désigne le bruit rythmé des ots (“qui toujours se reforment “ ajouterait Victor Hugo). Cette métaphore coûta 900 €.
La 110, petite tsuba sympathique en fer avec un décor en iroe-zôgan de shibuichi, shakudô et or, de deux rats devant un kakemono représentant un paysage au clair de lune, ne manquait pas de charmes : l’extrême minutie de l’exécution du motif contrastait joliment avec la rudesse du fer patiné qui lui servait de fond. 800 €.
Terminons sur un coup de folie avec la 120. Tsuba octogonale en suaka et sentoku, décorée en takazôgan de shibuichi et cuivre, d’un couple de hérons parmi les roseaux. Le seppadai, qui forme le corps du héron mâle, porte sur le revers. la signature 壽光 Toshimitsu. Il y eut six Toshimitsu qui oeuvrèrent en Meiji. Une chose certaine, celui-là n’est pas ornithologue et si l’on compare avec une tsuba de Natsuo d’inspiration analogue, comme on dit au café du Commerce, “ y a pas photo! ”. J’aimerais que l’on m’explique comment ce volatile obèse parvint à s’envoler à 7 500 € (9 375 € avec les frais) quintuplant l’estimation haute !