En verre et en communion


Publié par la Gazette Drouot

Une précieuse coupe en verre du XVIe siècle, dite « de Calvin », relate tout un pan de l’histoire du protestantisme français et de sa résilience.

Du voyage de Jean Calvin dans la Drôme en 1561, il nous reste aujourd’hui une coupe. Ce magnifique ouvrage d’art est aussitôt devenu la mémoire du soutien de cette figure incontournable du protestantisme aux réformés persécutés. La Drôme, au milieu du XVIe siècle, est un territoire de prêche pour la Réforme et un lieu d’accueil pour les protestants. Elle est à quelques jours de chevauchée de Genève, où Calvin s’est réfugié. À la suite de l’assassinat de deux ministres du culte à Valence, il décide de s’y rendre. La date de son départ, le 6 août 1561, est documentée dans son journal. Le 12 août, il arrive à destination. Entre ces deux dates, Calvin ne consigne aucun fait, ne rédige aucune note. Plusieurs historiens se sont intéressés à ce voyage à risque, alors que la santé du pasteur est déjà fragile. En 1906, André Mailhet publie son étude « Le voyage de Calvin à Valence » dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français. Susceptible d’être appréhendé par des partisans catholiques, Calvin aurait choisi des voies et des passages détournés qui ont fait l’objet d’études par des historiens. Il se serait arrêté au château de Saint-André, au Poët-Célard, chez Raymond de Blaïn, qui l’héberge pour la nuit. C’est dans la salle d’honneur de la demeure seigneuriale que Calvin va célébrer, en compagnie du châtelain et de quelques fidèles des environs, la Sainte-Cène – la communion protestante. À défaut d’un calice, il utilise notre coupe en verre pour ce sacrement. En hommage à cet événement extraordinaire, dans un contexte marqué par les persécutions et les massacres, le seigneur fait placer un buste du théologien dans le trumeau de la cheminée de la salle d’honneur du château. La sculpture, attestant du passage de Calvin, est présente jusque dans les années 1870, tandis que la coupe est soigneusement conservée.

Facture vénitienne
Cette coupe, présentée aujourd’hui aux enchères, est un verre de prestige ou d’apparat, que l’on mettait sur un dressoir. « Un très bel objet de collection à la transition d’une époque », précise l’expert Benoît Bertrand. Elle est représentative du renouveau de l’art verrier à Venise vers 1520-1540 (voir Gazette 2020 n° 45, page 166). Apparaît alors un style original aux formes arrondies, aux parois minces et transparentes. La coupe de Calvin s’inscrit dans cette production à décor presque minimaliste : une forme hémisphérique lisse, une jambe à balustre creux en verre soufflé, un pied rond, assez plat et également lisse. « Elle est d’une finesse, d’une légèreté..., poursuit l'expert. C’est un signe de l’authenticité de l’objet. Les faux verres vénitiens ont du plomb, ils sont plus lourds. Il ne nous est pas parvenu beaucoup de verres de cette époque : c’est un miracle que cette coupe soit encore là. » De fait, les objets s’en rapprochant sont rarissimes. Le musée des Arts décoratifs de Paris conserve deux exemplaires dont certaines parties sont comparables à la coupe de Calvin, et le musée des arts décoratifs de Bordeaux, un modèle assez semblable.
Trouver une coupe de facture vénitienne dans la Drôme, à cette époque, est tout à fait possible. Les cours princières, les nobles et la haute bourgeoisie sont très friands de ces verres, voire se les arrachent. Certes, Venise exporte sa verrerie en masse, mais la demande est telle que de nombreux ouvriers – avec leurs secrets de fabrication – sont rapidement débauchés de Murano. Ils œuvrent dans des ateliers en Europe et notamment en France. Cette verrerie de style vénitien produite ailleurs que dans la Lagune est couramment désignée « à la façon de Venise » et, de l’avis des experts et spécialistes, est très difficile à différencier. La coupe de Calvin est ainsi qualifiée par Benoît Bertrand de « Venise ou façon de Venise : c'est la dénomination habituelle parce qu’on n’a pas de preuve ».

Une cristallisation de la foi protestante
Raffinée, fragile, un peu ébréchée, avec quelques petites restaurations, notre coupe possède une haute valeur symbolique. Elle véhicule l’identité culturelle des protestants, leur croyance préservée face aux épreuves. Sa transmission dans la communauté réformée au fil des siècles est en tout point établie. Après le passage de Calvin, elle reste au château dans la même famille jusqu’à la Révolution. Considéré comme suspect en 1792, le marquis d’alors choisit de s’exiler. Dans sa fuite, il est caché par un protestant, un certain François Descours. Pour le remercier, il lui remet la coupe. Celle-ci est ensuite donnée à sa fille, puis de génération en génération, jusqu’à revenir à l’épouse du célèbre pasteur franco-italien Alexis Muston (1810-1888), une personnalité importante du protestantisme. « Le pasteur Muston est la deuxième partie de l’histoire de cette coupe. Avec lui, elle devient le symbole d’un protestantisme actif au XIXe siècle dans la Drôme et très proche des fidèles. »
Sa transmission s’est poursuivie encore par les femmes, puis par un gendre et un cousin germain. Elle est demeurée dans la même famille jusqu’à aujourd’hui. Et Benoît Bertrand de conclure : « Cette histoire n’est pas classique : on ne vend pas une relique. Les protestants n’ont pas un regard sur la relique comme les catholiques. C'est vraiment l’objet mémoriel d’un événement qui se situe autour d’une histoire protestante. »


Venise ou façon de Venise, milieu du XVIe siècle.
Verre à jambe en verre translucide légèrement jaune, h. 8, diam. 8,5 cm.
Estimation : 20 000/30 000 €

Jeudi 10 avril, salle 1 – Hôtel Drouot.
Tessier & Sarrou et Associés OVV. M. Bertrand.