LAISSEZ-VOUS PORTER !

Publié par la Gazette Drouot

CHAISES À PORTEURS ET TRAÎNEAUX ILLUSTRENT LA GRANDE VARIÉTÉ DES TRANSPORTS AUX SIÈCLES PRÉCÉDENTS ET, DÉJÀ, LEUR COMPLEXITÉ.
PROMENADE SUR LA ROUTE DES ENCHÈRES, SANS SOUBRESAUTS...

La chaise à porteurs est une lointaine descendante des litières romaines et des palanquins chinois et égyptiens. Son usage en tant que cabine munie de brancards, portés à bras d’homme et servant au transport d’une seule personne, apparaît en Angleterre au XVIe siècle. Des écrits relatent celle d’Henri VIII (1491-1547), qui nécessitait quatre solides portefaix à la fin de la royale vie... Importée dans les années 1640, elle devient à la fin du XVIIe siècle, tout au long du XVIIIe et durant une bonne partie du XIXe le mode de transport urbain privilégié en France. Il faut se remémorer les ruelles tortueuses de nos villes – capitale comprise, Haussmann n’est pas encore préfet – et imaginer les trésors de ruse et d’agilité dont les porteurs, loués à la course, devaient user pour avancer dans ce dédale par ailleurs encombré de passants, vendeurs à la criée, animaux en liberté, étals bigarrés et autres occupants tout aussi odorants... Les venelles étaient alors jonchées de déchets et recouvertes de boue, et les belles dames et autres gentils messieurs ne voulaient point tacher leurs chausses délicates. L’aristocratie puis la bourgeoisie, qui cherchaient encore à se protéger des intempéries, vont très vite l’adopter, s’attachant bientôt à la rendre des plus confortables et élégantes. Dénommé tout simplement « chaise », ce véhicule privé stationne dans le hall d’entrée des riches demeures. Antoine Vernet (1689-1753), le père du grand peintre de la Marine Joseph Vernet, est enregistré à Avignon comme «peintre de paysages et de voitures », c’est-à-dire de panneaux décoratifs pour des carrosses et des chaises. Le vernis Martin trouve à exprimer le meilleur de son éclat dans leurs décors, en phase avec l’ornementation du temps. Rocaille pour celle portée à 6 196 € à Marseille, dans une vente de la maison Leclere en juin 2013, néoclassique à 2 125 € pour celle d’Ader, à Paris en avril 2015... L’une des premières chaises dûment inventoriées en France – en date de 1661, année de sa disgrâce – n’est autre que le véhicule du surintendant Nicolas Fouquet. Versailles se l’approprie également : elle sera utilisée dans les différentes cours et même à l’intérieur du château. La maison de Louis XIV se dote d’ailleurs d’un service de « garçons porte-chaise », un véritable privilège, qui bénéficiait de la grande considération du souverain. Un exemplaire magnifiquement décoré, datant vers 1700-1715, est conservé au musée du Petit Palais à Paris ; il appartenait au duc Léopold Ier de Lorraine (1679-1729) et à son épouse, Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1676-1744), nièce de Louis XIV, ce qui explique la peinture exceptionnelle de cette pièce à leurs armes.

EN VOITURE... NON, EN CHAISE !
On ne peut pas véritablement parler d’un marché pour ce domaine particulier des arts décoratifs. Néanmoins, il n’est pas rare de voir saluer une chaise à porteurs en vente aux enchères. Les résultats se situent le plus souvent dans une fourchette comprise entre 3 000 et 6 000 €, la présentation d’une belle pièce suscitant la ferveur d’amateurs épris d’originalité et de qualité... et celle des institutions. Un modèle d’époque Louis XV, joliment agrémenté de vases, échassiers, corbeilles fleuries, palmes, guirlandes, rubans ou nœuds, était ainsi préempté à 23 162 € chez Thierry de Maigret, le 25 mars 2015, pour le musée national de la Voiture et du Tourisme de Compiègne, venant rejoindre les neuf autres datés du XVIIIe siècle de cette collection. Le modèle conservait ses barres de portage d’origine, et son décor attestait de l’importance du commanditaire. La galerie des Carrosses du château de Versailles, récemment rouverte, invite à admirer quelques exemplaires en cages de verre. Au XXe siècle, la chaise à porteurs devient objet de décoration, voire d’amusement. Le 24 mai 2016, la maison Beaussant Lefèvre proposait un tirage argentique de Raymond Fabre, montrant Pablo Picasso assis dans une chaise, vers 1955, ses enfants Paloma et Claude offi- ciant en porteurs symboliques. Ce cliché plein de fantaisie prenait la route à 1 250 €. Petite anecdote encore, ce moyen de locomotion est à l’origine d’une expression des plus courues : « Mener une vie de bâton de chaise » se réfère en effet aux garçons porteurs de ce véhicule léger (sauf pour eux), toujours par monts et par vaux.

CIRCULEZ !
La circulation dans les rues des villes est d’une telle complexité que, dès le Moyen Âge, le droit français adopte les premiers textes relatifs à la voirie. Le roi Philippe Le Bel (1285-1314) se voit obligé d’en inter- dire l’accès aux chars, alors prisés par les seigneurs pour leurs déplacements, même urbains. La situation ne s’améliore pourtant guère. Un manuscrit du marquis de Verneuil de la première moitié du XVIIIe siècle, intitulé Mémoires concernant la charge d’introducteur des ambassadeurs, évoque « l’impossibilité d’annoncer une heure de visite en raison des embarras des rues de Paris ». Des embouteillages, déjà ! Mais d’un autre genre, moins polluants et qui ne suscitaient pas alors de polémiques sur la nécessité, ou non, de fermer les voies sur berge... Un autre modèle de régulation de la circulation nous est donné par un avis placardé à l’entrée des ponts. Ceux-ci étaient payants. À Lyon en 1744, il en coûtait six deniers pour la traversée d’une chaise à porteurs vide et douze tout de même pour une chaise « habitée ». À titre de comparaison, un homme à cheval devait s’acquitter de onze deniers et chaque mouton en nécessitait deux ! Ce document était présenté dans une vente d’affiches, chez Delorme et Collin du Bocage en février 2013, où l’acquéreur dut pour sa part s’acquitter de 1 250 € pour l’emporter. Là encore, les péages ne sont pas une inven- tion des temps modernes...

PLAISIRS DE L’HIVER
Dans les contrées plus septentrionales, le traîneau relaie la chaise à porteurs durant la longue période hivernale, lorsque la neige recouvre de son blanc manteau campagnes et villes. En France, les règles de son usage relevaient des Menus-Plaisirs et il n’était pas rare, lorsque la glace recouvrait les allées de Versailles, de voir duchesses et princesses filer à vive allure. Les modèles en bois naturel vendus chez Le Floc’h et chez Tajan invitent à s’imaginer chaudement emmitouflés à l’arrière de l’un de ces carrosses de l’hiver. Le siège de traîneau proposé à 7 500 € chez Ader, le 29 juin 2015, affichait une provenance toute particulière, qui lui apportait un petit supplément d’âme : celle de Guy de Maupassant. Ce dernier l’affectionnait et l’avait installé dans son cabinet de travail en guise de siège original. Les quelques milliers d’euros nécessaires pour s’approprier un traîneau sont finalement peu de chose face à la nostalgie qu’il engendre. Mais, personne mieux que Nicolas Gogol n’a immortalisé l’immensité des steppes russes. Dans Les Âmes mortes, l’écrivain fait d’une britchka qui disparaît dans le lointain le symbole de la Russie éternelle.


1725-1739 
Une période, durant ces années, René Hérault (1691-1740), lieutenant général de police, interdit à Paris le stationnement en double file et ordonne l’immatriculation des carrosses.


Adjugé 8 680 €
Maurice Leloir (1853-1940)
Élégante montant dans une chaise à porteurs
Huile sur toile, signée en bas à droite.
61 x 50 cm.
Paris, Drouot, 26 juin 2015.
Tessier & Sarrou et Associés OVV.