Les travaux d’Alexandre



Dans la clairière, près de l’arbre qui gît abattu, la partie du tronc demeurée en terre s’est emparée de la cognée du bûcheron. Une des noueuses racines, ou plutôt un des bas contreforts ligneux, a dû lentement bouger et, comme une patte d’ours, s’est posée sur l’outil du meurtre, le maintient, et ne le rendra plus. Enfin une justice. Une égalité. Une nouvelle revendication.

Un nouveau malaise pour les hommes.

Combien de temps aura-t-il fallu à la souche pour s’emparer de l’arme de l’assassin, pour l’immobiliser, empêchant qu’à nouveau elle fasse le mal ? Maintenant le geste infiniment lent est accompli. A terre, maintenue souverainement par une « patte d’arbre », patte qui, au contraire de celles des animaux, une fois posée, ne se relève plus, et ne connaît pas la fatigue, la cognée meurtrière ne pourra plus être dégagée. Fascinant spectacle. Réponse d’un être qui n’a pu répondre assez vite, qui jamais ne put répondre à temps. Au nom des silencieux la souche de l’arbre abattu donne la réponse tardive.
Depuis un temps immémorial, des millions d’arbres par la cognée ou par la pré-historique hache de pierre ont été abattus sans un mouvement de résistance, sans jamais une protestation. Voici un commencement qui peut faire réfléchir. De nouveaux résistants. Que restera-t-il de la royauté sur la « création » ? L’inquiétude humaine va connaître une nouvelle dimension.
Henri Michaux, extrait de « En rêvant à partir de peintures énigmatiques »,1972


Dans une lettre datée du 13 aout 1950 Julien Gracq écrit à Magritte : « Pour votre tableau, je vous propose « Les Travaux d’Alexandre ». Parce que je ne sais pourquoi je pense immédiatement au « nœud gordien » et peut-être en arrière-plan, à l’idée du « conquérant vaincu par sa conquête ». Mais c’est un titre bien « irrelevant » et qui peut ne valoir que pour moi... »


« L’art de peindre est un art de penser »
René MAGRITTE

Selon Magritte, sa peinture évoque le mystère du monde. Pour le révéler, l'artiste procède souvent à une collision de deux objets qui, du réel auxquels ils appartiennent, nous amène au rêve ; du visible à l'invisible.

Le visible et l'invisible... Toute l'œuvre de Magritte tourne autour de ces deux notions. Ses images tentent de rendre visible l'invisible. Le visible est le monde apparent et l'invisible, pour Magritte, n'est pas un « visible caché », mais une possibilité contenue dans le visible. Le mystère fait donc partie de la réalité et celle-ci ne peut exister sans lui : « Le mystère est la nécessité absolue pour que l'existence soit possible ».