Je goûte. Je n’ai jamais goûté de l’or avant ! Ca a du goût !


Lorsque j’ai rencontré Pablo Picasso pour la première fois, j’avais 10 ans.
Mon père François Hugo travaillait déjà pour lui depuis un ou deux ans. Picasso me regarda de son œil vif en se demandant que qu’un gamin comme moi pouvait faire dans l’atelier de ce maître orfèvre. Je regardais mon père travailler.

Le regard du grand peintre m’intrigua et me fit peur.

- Que fais tu jeune garçon
- Je regarde mon père travailler.

Une lueur d’intérêt fit briller ses yeux.
Si tu veux, tu viendras dans mon atelier me voir travailler. Ce fut une grande joie pour moi. Il m’avait jaugé et adopté.

Ce fut en effet quelques temps auparavant, en 1955, qu'à la faveur d’un hasard que Douglas Cooper rétablit le lien entre mon père et Picasso afin qu’ils travaillent ensemble. En effet Pablo Picasso cherchait quelqu’un qui puisse l’aider à venir à bout d’un projet qu’il avait formé, de certains plats en argent. C’est ainsi à la faveur de ces retrouvailles que François Hugo devait préciser sa propre technique. D'après des céramiques appartenant à la série dite des “pâtes blanches” de Picasso, mon père exécuta en argent repoussé plus d’une vingtaine de plats.

Au fil des années j'ai appris à le connaître, à l’admirer et à découvrir cet homme bon, généreux et drôle.
Lors de mon premier séjour à « La Californie » j’aimais son atelier et je tombais amoureux de sa fille Paloma.
Ce qui n’échappa pas au maître.

Nous étions en 1957 et depuis lors, l’amitié et la connivence de ces deux hommes ne cessèrent de grandir. Ce n’est que parce que, du point de vue de leur technique respective, les deux hommes vivaient en parfaite intelligence que les objets qu’ils exécutèrent ensemble atteignirent un niveau de perfection qui est aujourd'hui le leur.

Pablo Picasso avait, comme Claes Oldenburg, une sainte admiration pour l’or.
Tu crois qu’une œuvre de moi en or serait possible ?
Tout ce que tu fais se vend, répondit mon père.
Et il lui fit la surprise des premières sculptures puis des médaillons en or. Picasso fut subjugué ! Il prit les objets d’or dans ses mains et les porta à sa bouche comme un bébé.

- Que fais-tu Pablo?
- Je goûte. Je n’ai jamais goûté de l’or avant! Ca a du goût !

Jacqueline et ma mère Monique les regardaient, heureuses. Moi j’étais fier de mon père et heureux de voir Pablo rire aux éclats.
C’était l’époque des beaux souvenirs que l’on garde précieusement.
Les hommes s’en vont, mais leur passage est celui des grands de ce monde.


Pierre Hugo