Un envoi inédit et mystérieux

Publié par la Gazette Drouot

Cet exemplaire de Le Rouge et le Noir s’ajoute aux cinq enrichis d’un envoi autographe référencés jusqu’à présent. Une rareté donc, que les bibliophiles pourraient bien s’arracher…

Les volumes sont complets, et seule l’usure du temps a marqué le vélin fin de petites piqûres et de quelques rousseurs. Des défauts qui ne sauraient refroidir l’enthousiasme des collectionneurs ni celui – peut-être – des institutions… On ne connaissait que cinq spécimens de l’édition originale comportant sur la page de titre un envoi autographe, dont un seul nominatif, celui de la baronne Charles de Rothschild, conservé dans la famille. Les autres portent la mention «hommage de l’auteur» et, parmi ceux-ci, deux ont une provenance intime : celui de Félix Faure et celui d’Adolphe de Mareste (1784-1867), compagnon presque quotidien de Stendhal de 1821 à 1830. Nos exemplaires sont probablement les plus mystérieux, avec leur envoi codé «Hommage de l’auteu [r] P.241. A.29». S’il est fréquent à l’époque que certains envois soient rognés (ici de la lettre «r») – les relieurs n’en tenant pas compte quand ils massicotent –, cet ex-dono demeure aussi énigmatique dans sa signification que quant à son destinataire, fort probablement une femme. «P. 241» indiquerait-il la page 241, et «A.29» l’année 1829 ? Rédigé d’octobre 1829 à août 1830, Le Rouge et le Noir, sous-titré Chronique du XIXe siècle puis Chronique de 1830, est publié pour la première fois chez Levasseur, à Paris, le 13 novembre 1830, bien que l’édition originale mentionne la date de 1831. En avril 1829, Stendhal est amoureux d’Alberthe de Rubempré (1804-1873), surnommée Madame Azur parce qu’elle habitait rue Bleue. Leur brève liaison – «un mois tout au plus» – est compliquée, la dame continuant à avoir des relations intimes avec son cousin, Eugène Delacroix. Pour susciter la jalousie de la jeune femme – qu’il aime, dit-il, d’un «amour frénétique» –, Stendhal courtise Virginie Ancelot (1792-1875), femme de lettres et peintre, dont il fréquente le salon rue de Seine. On sait qu’il a envoyé un exemplaire de son roman à l’une et à l’autre… Il s’inspira en partie d’Alberthe pour peindre Mathilde de la Mole, seconde amante de Julien Sorel, qui méprise les hommes de son rang, tue l’ennui en se moquant d’eux, tout en lisant Voltaire en cachette.