Le démeublement de Jean-Michel Frank


Publié par la Gazette Drouot

À mi-chemin entre le purisme janséniste du Corbusier et la préciosité de Ruhlmann, cet ensemblier a élaboré un style aux volumes simples et aux formes harmonieuses.
« On peut aménager très luxueusement une pièce en la démeublant», avait coutume de dire Jean-Michel Frank. Difficile de faire abstraction toutefois de cette console dont la sobriété du plateau et le classicisme du piétement font ressortir l’exubérance des montants feuillagés. Faut-il voir dans ceux-ci le reflet du goût du décorateur pour la réinterprétation des meubles du XVIIIe, de l’époque Régence au style Louis XVI ? (C’est dans ce type de meubles que les menuisiers manifestaient le plus librement leur talent.) Habitué des matières originales telles que le gypse, la terre cuite, le mica, le graphite, le galuchat, la paille, la laque poncée, le cuir cousu à la main ou encore le parchemin, il fait ici le choix d’un matériau moins sophistiqué : le plâtre. Une autre façon d’investir l’espace intérieur avec sobriété. Ami des surréalistes et des musiciens du groupe des Six, Jean-Michel Frank travaille quelque temps pour un homme d’affaires après la mort de ses deux frères au front, et le suicide de son père en 1915. Mais il se passionne davantage pour le monde intellectuel et artistique. Pour Pierre Drieu La Rochelle et Louis Aragon, dont il est l’intime, il s’improvise décorateur dès 1918. Murs blancs, meubles presque absents, l’intérieur est dépouillé, et séduit rapidement. En 1926, la réalisation d’un fumoir aux murs gainés de parchemin et d’un boudoir en marqueterie de paille pour l’hôtel particulier des Noailles le révèle au Tout-Paris. Avec son collaborateur l’ébéniste Adolphe Chanaux, il met au point des meubles et des luminaires aux formes minimalistes dont raffolent les couturiers Elsa Schiaparelli, Lucien Lelong, Robert Piguet, Marcel Rochas et le parfumeur Jacques Guerlain, pour lequel il réalise l’institut de beauté 68, avenue des Champs-Élysées, avec Diego Giacometti et Christian Bérard. Si le dramaturge Édouard Bourdet lui confie le décor de ses pièces au théâtre de la Michodière, François Mauriac se laisse séduire par son « esthétique du renoncement »...