L'homme et la terre

Publié par la Gazette Drouot

FRUIT D’UN HÉRITAGE, LA CÉRAMIQUE D’ÉMILE GALLÉ S’ÉPANOUIT ENTRE FAUNE ET FLORE, TOUT EN MULTIPLIANT ESSAIS PLASTIQUES ET FORMELS, SUR LE CHEMIN DE L’EXPLOSION VERRIÈRE FUTURE. ESCALES EN CHIFFRES.

Deux raison valent mieux qu'une. L'exposition du musée de la Céramique de Rouen qui démarre ce jour (" Émile Gallé, alchimiste de la terre et du verre "), ainsi que la réfléxion de Sylvain Amic, directeur des musées de la ville normande (" Qui se souvient aujourd'hui qu'Émile Gallé était également céramiste ? ")   résonnent comme une double invitation à se tourner vers une facette moins connue de ce créateur protéiforme, fondateur de l'école de Nancy : l'art de la céramique. Et contribuer à répondre aux questionnement du conservateur : oui, il y eut bien un Gallé céramiste avant le verrier mondialement connu. Et aux enchères, même si les résultats sont plus modestes, de nombreux collectionneurs le recherchent pour leurs vitrines !

LA NATURE EN EMBUSCADE
Un pichet zoomorphe figurant un cacatoès prenait son envol à 4 445 € chez Tessier & Sarrou et Associés, le 4 mai dernier. L’ouvrage résume l’inventivité de son auteur et pourrait avoir pour compagnon celui en forme de sau- terelle du musée d’Orsay. Volatiles, poissons multicolores, coléoptères, chardons, orchidées, lotus ou encore campanules... tous sont attrapés dans son grand filet pour être librement réinterprétés et devenir qui un pichet, qui une coupe ou un vide-poche. Au début de sa carrière, Gallé marche dans les pas paternels, reprenant la tradition des motifs héraldiques ou rocaille chère à la Lorraine. Très vite, il la transforme et lui associe d’autres sources d’inspiration, allant puiser dans les recueils de Grandville (1803-1847) – lithographe nancéien de renom, dont l’ouvrage Scènes de la vie privée et publique des animaux, paru en 1842, est encore dans tous les esprits – et dans le japonisme tout nouvellement en vogue et si riche pour un artiste en quête de nature. C’est à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1867, qu’il en reçoit le choc : la fascination ne le quittera plus. Le résultat est souvent spectaculaire, à l’image du vase « Les Lotus », dont une version de 53 cm ouvrait ses boutons à 18 200 € chez Ader le 3 décembre 2015. Par la complexité de ses effets de matière – le décor paraît sculpté, fleurs et fruits étant rehaussés de feuilles d’or éclatées –, il préfigure les spectaculaires verreries, certai- nement déjà en gestation et dont l’éclosion se fera au tournant du siècle.
Dans les années 1880, Gallé est en pleine maîtrise de son style personnel, ayant parfaitement réalisé la synthèse des différentes influences explorées. Notons qu’il ne s’est jamais intéressé à la porcelaine et a essentiellement produit de la faïence stannifère, décorée avec de l’émail coloré. Ce technicien travaille sans relâche à l’amélioration de la pâte, multipliant les expériences : dessin des contours à la pointe du graveur sur verre, acide fluorhydrique pour patiner les ornements, meule ou roue pour entamer l’émail et faire apparaître les motifs. La fantaisie est également de mise, le goût pour le bibelot étant à son apogée. Chat et boule-dogue apparaîtront facétieux en céramique émaillée jaune, avec des yeux en pastilles de verre et des cœurs bleus dessinés sur le pelage. Ce sont ces épreuves que l’on retrouve le plus fréquemment aux enchères, où elles sont disputées autour de quelques milliers d’euros : 7 650 € pour le canin le 14 novembre 2012 chez Aguttes, 3 150 € pour le petit félin chez Pescheteau-Badin le 27 mai 2016... Le « Grand-duc » posé chez Lucien Paris à 3 200 €, le 6 décembre 2011, en écarquillait tout ronds les yeux ! Dans les années 1890, avec lucidité, Émile Gallé s’interroge : « La céramique du jour est-elle vraiment pour un temps délaissée de la faveur des mondains par la mode, par dégoût des gargouillades, des surabondances ou par préférence pour d’autres matières, métaux ou verres ? ». Il y répondra en abandonnant la faïence pour se tourner exclusivement – avec le succès que l’on sait – vers l’ébénisterie et, surtout, la verrerie.

UNE DATE 1889
C’est l’année où Émile Gallé reçoit trois récompenses à l’Exposition universelle, qui plus est concernant chacune des disciplines explorées : la céramique, la verrerie et l’ébénisterie.


Adjugé 4 445 €
Émile Gallé, pichet zoomorphe en faïence figurant un cacatoès à décor de motifs floraux émaillés polychromes, vers 1880.
H. 36 cm.
Paris, Drouot, 4 mai 2017.
Tessier & Sarrou et Associés OVV.  Plaisance Expertise