Céramiches


Publié par Revue Profane

Bruno Solques expose depuis bientôt vingt ans ses céramiques aux côtés des pains, pâtisseries et autres gourmandises qu’il se plaît à disposer dans sa boulangerie du cinquième arrondissement de Paris. Un rapport à la matière, entre pâte crue et terre cuite, qu’il façonne aube après aube entre ses mains, insatiables.

« À mes yeux, un artiste, c’est quelqu’un qui a du temps, moi je n’en ai pas », argue le boulanger depuis le salon de sa maison, dont seulement deux portes le séparent du commerce qu’il tient avec sa compagne. Celui qui dort en moyenne quatre heures par nuit et se plaît à retrouver son fournil chaque matin, ne manque pour autant pas de le comparer à un atelier, espace par essence solitaire où le geste l’emporte sur tout le reste. Un geste qu’il décrit volontiers comme instinctif, vital, presque urgent. 
Aussi, tout se doit d’aller vite. Face au plan de travail, farines, levures et autres graines fusent, n’obéissant qu’à l’œil précis du maître des lieux. Son expérience pour seule unité de mesure, il façonne comme on dévore : impétueusement. À ceux persuadés que faire du pain, c’est compliqué, Bruno rétorque que c’est en réalité très simple, « un peu comme la céramique ». Ainsi, une fois intégrées les principales conventions, la discipline peut laisser place à la création, la rigueur au « faire ». Une volonté de faire qui s’imposera chez lui coûte que coûte, au fil d’un parcours en constant mouvement. Après avoir quitté l’école à l’âge de quinze ans pour se former à la boulangerie sur la Côte d’Azur et un court passage par l’armée, il s’envole pour les États-Unis. Suivront le Mexique, les Bermudes, et finalement les Bahamas où l’attendaient deux rencontres. La première, celle d’une femme passionnée, le guidera naturellement vers la seconde, la poterie. Dès lors, lui apparaîtra cruelle l’éphémérité des décors de pain qu’il modelait à l’occasion de banquets, de bouquets de fleurs en corbeilles de fruits à la croûte dorée. Alors que la miche s’étiole, la terre cuite elle, demeure. 
Une fois rentré en France, il fait l’acquisition d’un four à céramique en même temps qu’ouvre sa toute première boulangerie, en Normandie. Alors âgé de vingt-quatre ans, l’autodidacte sait d’ores et déjà qu’il ne produira plus de pain sans travailler, en parallèle, ce matériau dont les propriétés grisantes s’offrent désormais à lui. Intrinsèquement liée à sa première passion, son métier, la pratique de la poterie s’exerce chez lui sans contrainte. Malaxant la terre comme on pétrit la pâte, il fait naître de son atelier des plats chargés de victuailles, comme un clin d’œil à son amour pour la bonne chère. Sans surprise, ces natures mortes trouvent rapidement leur place aux côtés des pains aux noix, feuilletés au sucre vergeoise et viennoiseries bien cuites. Après un déménagement à Tours, c’est finalement à Paris que Bruno ouvre sa troisième boutique au début des années 2000, aux abords de la rue Saint-Jacques. À raison de cinq à six pièces par an, l’étal comme les murs se parent progressivement des créations du boulanger, tandis que le bouche-à-oreille pousse chaque jour davantage de curieux à la porte de cette exposition permanente. « Beaucoup de mes clients ne trouveraient pas le même goût au croissant à la cannelle si les céramiques n’étaient pas là » affirme ainsi le commerçant. Pragmatique, il est également conscient que sa production, comestible ou non, ne s’adresse pas à tout le monde. L’exigence qu’il impose aux produits qu’il travaille et le caractère atypique du lieu font de sa boulangerie une étrangeté pour les uns, comme une institution pour les autres. Aussi, et si de ses propres mots le pain fait vivre, c’est parce qu’il nourrit autant qu’il sustente. Bruno fait le pain qu’il vend, achète des céramiques comme il en fait. À la fois créateur et collectionneur, il se plaît à dénicher et acquérir depuis des années des pièces d’artistes dont il admire le travail. Quid de proposer les siennes à l’achat, ce qu’il semble s’être toujours refusé? « Quand j’en aurai marre de vendre mon pain, je vendrai mes céramiques » rétorque-t-il, les mains à la pâte.


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