L’effet médusant du bijou art nouveau


Publié par la Gazette Drouot

Fantastiques, inspirées par la nature et sublimant la femme, les années 1880-1914 sont une période féconde de la création joaillière.

Le bijou art nouveau ? Tendance, forcément ! L’École des arts joailliers lui consacre une magistrale exposition avec une mise en scène révélant tout de son envoûtante beauté. Par ailleurs, Vever, relancé par les descendants du fondateur, a organisé en ses bureaux une présentation de son patrimoine (voir Gazette n° 25, page 212), tandis que Sarah Bernhardt, en majesté au Petit Palais, y dévoile quelques-unes de ses parures... Jamais autant qu’en ce début d’été le fantastique accessoire ne s’est épanoui – et ce ne sont pas les résultats étincelants obtenus aux enchères qui vont contredire ce propos. Au-delà de sa beauté, la parure a joué un rôle central dans l’évolution artistique et sociétale du tournant du XXe siècle. C’est tout ce qui en fait l’originalité... et la désirabilité. L’heure de la pierre précieuse caracolant en tête est alors révolue, place aux matériaux organiques et minéraux inusités, à tous les possibles en termes de répertoire visuel. Le bijou touche à l’art et devient une arme de séduction massive.

À tire-d’ailes
Les progrès scientifiques du XIXe offrent de belles évolutions techniques, tandis que les expositions universelles de la seconde moitié du siècle seront de formidables vitrines...
L’année 1864 voit la création de la Chambre syndicale de joaillerie par des bijoutiers soucieux de défendre leurs intérêts économiques : les techniques et les matériaux sont assimilés, il est temps de se lancer ! Auparavant principalement centrée sur les pierres précieuses, la joaillerie est désormais prête à adopter les émaux translucides, les pâtes de verre, opales, pierres de lune, mais aussi l’ivoire, la nacre, la corne blonde, toute matière organique exprimant un univers mystérieux. Rossella Froissart, commissaire de l’exposition des Arts joailliers et professeure à l’École pratique des hautes études, insiste sur ce point : « L’art nouveau a remis à plat la hiérarchisation entre les pierres et métaux précieux et les matériaux moins nobles. » Il illustre l’idée que la beauté d’un objet relève davantage de sa conception artistique que du coût des éléments qui le composent. Les sources d’inspiration ont évolué dès la fin des années 1870. Les artistes ne veulent plus pasticher le passé : « La nature ne cesse de se défaire et de se recomposer autour de l’arabesque, explique encore Rossella Froissart, elle fait écho au japonisme ambiant. » Dès 1879, Lucien Falize propose une exposition sur le thème de la plante, et en 1898 paraît L’Animal dans la décoration de Maurice Pillard Verneuil. De magnifiques insectes, libellules, sauterelles et autres coléoptères voient le jour, des reptiles et des crustacés s’épanouissant à leurs côtés, tandis que les fleurs des iris, nénuphars et autres coquelicots affichent en toute volupté leurs courbes idéales sur des broches et des pendentifs. Parfait résumé de cette osmose, le modèle de Georges Fouquet, à décor d’ailes de papillon habillées d’une marqueterie d’opale et d’écaille blonde, arbore un motif rehaussé de roses diamantées, d’émeraudes et d’une aigue-marine, surmonté d’une couronne de perles fines et d’opales ; l’ensemble retient en pampille des lames articulées et diamantées et une perle fine baroque... Réalisé en 1902, « Ailes » s’envolait à 195 776 € le 26 mai 2021 chez Paris Enchères – Collin du Bocage OVV. Sublimer la nature, la réinventer constamment, puiser dans sa prolifération, c’est une audacieuse manière de façonner le bijou qui éclot. Et celui-ci prend vie !

René Lalique (1860-1945)
Pendentif « Medusa » figurant un visage de Méduse en pâte de cristal repolie de couleur bleu-vert, monture en or jaune à inclusions de paillons d’argent figurant trois serpents, une perle baroque suspendue
H. 11 cm,  poids brut : 78 g.
Paris, Hôtel Drouot, 17 novembre 2021. Tessier & Sarrou et Associés OVV. Cabinet PBG Expertise.
 Adjugé : 384 000 €