Le Baron Gerard


François Pascal Simon GERARD (Rome 1770 – Paris 1837) 
Portrait de Charles Ferdinand Théodore de Vassinhac d’Imécourt
Sur sa toile d’origine, dans son cadre en bois doré à palmettes d’époque Empire
210 x 135 cm


Provenance :
- Collection Gédéon Charles de Vassinhac d’Imécourt, frère du modèle. Le tableau est au château de Louppy sur Loison (Meuse) jusqu’en 1872
- Collection de sa fille, Charlotte Juliette de Béthune – Sully, Paris, Hôtel de Béthune – Sully, en 1872
- Collection de sa fille, Louise d’Hinnisdal, née de Béthune – Sully, Paris, Hôtel de Béthune – Sully, à partir de 1897 - Toujours resté dans la famille

Bibliographie :
- H. Gérard, Lettres adressées au baron François Gérard, peintre d’histoire par les artistes et les personnages célèbres de son temps. Deuxième édition. Publié par le baron Gérard son neveu et précédé d’une notice sur la vie et les œuvres de François Gérard, vol. II, Paris, 1888, p. 405 ;
- Catalogue de l’exposition François Gérard portraitiste, Fontainebleau, Château, 2014, cité p. 229 et p. 230 ; Abbé Mugnier, Journal, édition consultée Paris, 2021, pp. 400 – 401, cite une visite du 17 juillet 1922 ;
- C. Blumenfeld, « Réapparition d’un bel inconnu peint par Gérard », Gazette de l’Hôtel Drouot, n° 39, Paris, 2022, pp.14 - 16, reproduit ;
- P. Dufour, « François Gérard, au vent de l’Histoire », Gazette de l’Hôtel Drouot, n° 39, Paris, 2022, p. 8, reproduit.


Connu uniquement par les visiteurs de l’Hôtel particulier parisien, où notre tableau était conservé (l’abbé Mugnier en fit une description amusante le 17 juillet 1922), son existence était connue par sa mention dans la liste des œuvres de François Gérard établie par son neveu Henri en 1886 et par l’existence d’une petite réduction au musée de Versailles.
Après son décès en 1837, il y eu une vente de l’atelier du peintre avec une série de 84 esquisses d’après Gérard ou retouché par lui, souvenirs des grands tableaux de l’artiste. Cette vente était accompagnée de quelques gravures par un certain Pierre Michel Adam dont la nôtre. Cette œuvre modeste suffit à déclencher l’émotion de Goethe qui en fit un commentaire éblouissant dans ses écrits sur l’Art en 1816, Ueber Kunst und Altherhum (voir Conversations de Goethe pendant les dernières années de sa vie : 1822-1832, tome II, « Peinture », Paris, 1863, pp.479-480) :

FERDINAND IMECOURT, OFFICIER D’ORDONNANCE DU MARÉCHAL LEFÈVRE, TUÉ DEVANT DANTZIG EN 1807 (PEINT EN 1808).
Par conséquent de mémoire ou d’après une esquisse. Ce portrait renferme une opposition curieuse. La carrière militaire de cet homme indique une âme avide d’activité utile ; sa mort prouve sa bravoure ; or tous ces traits de caractère, sous le vêtement civil, conservent l’incognito. Son air, son vêtement sont ceux d’un élégant ; il se dispose à monter l’escalier d’un pavillon de jardin ; sa main gauche inclinée porte son chapeau ; sa main droite s’appuie sur une canne ; il semble qu’il vient d’apercevoir un de ses amis qui s’approche. Les traits du visage sont ceux d’un homme intelligent et calme ; il est d’une taille moyenne, mince, délicate. — Dans le monde nous l’aurions pris pour un diplomate, et c’est une heureuse pensée d’avoir placé au milieu de ces hommes célèbres qui appartiennent à l’histoire la noble et belle prose du jour qui passe.


Né le 16 juillet 1785 à Paris, Ferdinand d’Imécourt est le plus jeune d’une fratrie de trois enfants. Il est orphelin de père à moins de un an, et sa mère meurt lorsqu’il est à peine âgé de douze ans. Il est élevé par sa famille maternelle, plus particulièrement sa grand – mère Agnès Thérèse de Chauvelin, née Mazade. C’est vraisemblablement sous l’influence de son oncle maternel Bernard François de Chauvelin, homme de confiance de Louis Bonaparte, qu’il rejoint l’armée napoléonienne. Engagé volontaire à l’âge de vingt ans en 1805 pour la campagne de Hollande, Ferdinand d’Imécourt connait un avancement rapide et prometteur. En 1807, il est l’officier d’ordonnance du maréchal Lefebvre et connait une mort prématurée le 13 avril 1807 lors du siège de Dantzig. Il est enterré dans la partie sud de la cathédrale d’Oliwa (à une douzaine de km de Dantzig), où se trouve encore une stèle en langue latine le mentionnant. Il s’agit d’une des dernières inhumations à l’intérieur d’une église, puisque le code Napoléon en fonction dans le Grand - Duché de Varsovie interdira cette pratique. Durant le siège de Dantzig, la cathédrale d’Oliwa tenait lieu d’hôpital de campagne pour l’armée française. Blessé lors d’une sortie à neuf heures du soir, il meurt à six heures du matin à l’âge de vingt et un an et neuf mois.
La ville portuaire de Dantzig (Gdansk), clé du commerce entre la Hollande et l’Angleterre, occupait un intérêt central dans les plans de Napoléon. Elle fut prise par la Grande Armée composé de troupes françaises, polonaises et de Bade, après un siège qui dura du 7 mars au 26 mai 1807. Le cœur de Ferdinand d’Imécourt est rapporté en France par son ami Albert de Noailles et placé dans l’église Saint Pierre d’Inor (Meuse), où se trouvaient une deuxième propriété, aujourd’hui détruite, ainsi que le caveau de famille.
La mort de Ferdinand d’Imécourt, jeune officier plein d’avenir, affecta le maréchal Lefebvre qui le cite dans ses rapports des 13 et du 14 avril, le décrivant (Demécourt) comme un jeune homme portant de grands espoirs. On lui décerna à titre posthume le grade de lieutenant.
Ferdinand de Vassinhac d’Imécourt est issu d’une très ancienne famille, installée depuis le XVIIème siècle dans les importantes propriétés d’Inor et de Louppy sur Loison dans la Meuse.

La famille Vassinhac, originaire du Bas Limousin, était venue dans les Ardennes, sur les terres des princes de Sedan, à la suite du calviniste Henri de La Tour d’Auvergne, père du futur maréchal Turenne. Jean de Vassinhac épousa en 1614, Anne Vautrin, fille du seigneur d’Imécourt. Par ce mariage la famille prit le nom de Vassinhac d’Imécourt. Le fils de Jean, Gédéon III, épousa Claude de Pouilly, dame d’Inor en 1653. C’est ainsi que le château d’Inor devint un des fiefs de cette famille qui possédait également dans les environs, le château de Louppy sur Loison. A la naissance de Ferdinand, les Imécourt vivent à Paris dans l’Hôtel construit en 1780 et qui porte leur nom, au 1, rue Boudreau (actuel théâtre Edouard VII dans le 9ème arrondissement). La demeure a été démolie lors de la construction du théâtre de l’Eden au milieu du XIXème siècle. La famille est bien introduite à Versailles. Le père de Ferdinand, le comte Marie Louis Charles (1747 - 1786), avait été gentilhomme d’honneur du comte d’Artois. Sa mère, née Charlotte Ferdinande de Chauvelin, était dame d’honneur de Madame Elisabeth. La famille s’exila sous la Révolution, mais retrouva ses biens à son retour en 1796, préservés par la bienveillance des habitants des villages environnants. La sœur de Ferdinand, Françoise, épousa Amédée Marie de Clermont – Tonnerre. Son frère aîné, Charles Gédeon Théodore (1781 – 1872), s’engagea également dans la Grande Armée. Il fera une brillante carrière militaire, mais aussi parlementaire. Charles X le nommera pair de France en 1827.
C’est donc une famille bien introduite et dans les milieux royalistes, et dans les milieux napoléoniens, qui demande à François Gérard le grand portrait en pied du jeune homme défunt.
C’est probablement la famille qui prend la décision de représenter le jeune homme en costume civil, Gérard représentant le plus souvent ses modèles en tenue de grand apparat. Le peintre se rapproche ainsi de son premier chef-d’œuvre : le portrait de Jean-Baptiste Isabey conservé au Louvre (voir catalogue de l’exposition François Gérard portraitiste, Fontainebleau, Château, 2014, n°6, reproduit).

En 1808, François Gérard est l’un des principaux peintres du Premier Empire. D’abord élève d’Augustin Pajou, puis de Nicolas Guy Brenet, il rejoint finalement l’atelier de Jacques Louis David à partir de 1786, où il a pour camarades Girodet, Gros ou encore François-Xavier Fabre. Prenant la suite de son maître David lors de l’exil de celui-ci en 1816, il devient le portraitiste le plus important de son temps. Il travaille pour les plus hautes figures de l’Etat et les plus illustres familles. Il peint pour Napoléon Ier et pour son entourage, comme l’impératrice Joséphine dont il est nommé premier peintre en 1806. Sa renommée dépasse les frontières de la France puisqu’il est également le portraitiste de toutes les familles souveraines européennes. Gérard est donc un peintre extrêmement demandé. En 1808, outre notre tableau, il travaille sur les portraits du prince et de la princesse de Talleyrand (New-York, Metropolitan Museum of Art), le portrait de Stéphanie de Beauharnais (Versailles), le portrait de la princesse de Ponte Corvo (collection du roi de Suède), le portrait du comte Regnault de Saint-Jean-d’Angely (musée du Louvre), ainsi que le portrait de Caroline Bonaparte (conservé au palais Fesch à Ajaccio). Nous ne pouvons donc qu’imaginer l’honneur qu’il fait à la famille d’Imécourt en acceptant de peindre Charles Ferdinand de Vassinhac d’Imécourt malgré un carnet de commandes déjà bien rempli.

Il est très probable que le dessin conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen avec la donation Baderou soit la première pensée de notre tableau : pose distinguée du jeune homme le chapeau à la main et insertion du personnage dans un grand paysage. Gérard modifiera complétement l’architecture en insérant un escalier et le bâtiment à droite. Le paysage de gauche avec ses touches libres et brossées est un des meilleurs témoignages de la passion du peintre pour la peinture anglaise.

Dans ce portrait, Gérard peint, avec toute la distinction et le talent dont il est capable, le souvenir cher et pérenne d’un être à jamais perdu. Se détache d’un fond librement brossé, la silhouette élancée et altière d’un jeune homme d’une rare élégance. Le peintre pousse le raffinement de la touche à son extrême : il traduit ainsi la noblesse de Ferdinand d’Imécourt à travers les détails de son habit. Le col est un chef-d’œuvre de précision et de technicité. Un jeu de plis et de textures, entre taffetas et mousseline de coton, se met en place grâce à l’usage du blanc qui est décliné entre aplats et touches de matière. Les boutons de sa redingote, le porte tampon, symbole de son ascension naissante, sont remarquables, ainsi que le judicieux jeu d’ombres et de lumière, sa culotte et ses bottes. Ici encore, le peintre capture parfaitement leur matérialité avec la fluidité du tissu et les plissures brutes du cuir. Il n’oublie pas non plus l’éclat nacré des boutons du pantalon.
Au-delà d’une ode à l’élégance vestimentaire, Gérard arrive à rendre hommage à la mémoire d’un jeune homme au départ prématuré. Au moyen d’une pose de trois-quarts, du soin mis aux ombres portées grimpant l’escalier, le peintre insuffle une vie et un dynamisme propre à la fougue de la jeunesse. Son visage gracieux accueille des yeux d’une douce couleur brune mais dont le regard est déjà tourné vers le lointain, ses lèvres esquissant un léger sourire. C’est cette nostalgie que Gérard souhaite peindre. Elle se retrouve ainsi dans la lumière de fin d’après-midi, chaude et paisible, qui s’accorde avec les couleurs automnales dont se pare la nature à l’arrière-plan. Dans ce portrait, tout semble évoquer un sentiment d’une éternelle jeunesse.