Réapparition d’un bel inconnu peint par Gérard


Publié par la Gazette Drouot

Sorti de l’oubli, ce poétique portrait de jeune homme fut célébré par Goethe. Il pourrait faire tourner bien des têtes.

François Gérard surprend lorsqu’il sort des sentiers battus et nous raconte une histoire, qui va au-delà des frontières du portrait. Alors qu’il avait tout pour devenir un héros stendhalien, ce beau jeune homme, arraché à la vie lors du siège de Dantzing, incarne une généra- tion décimée par les guerres napoléoniennes. En recevant, en 1826, la Collection de portraits historiques de M. le baron Gérard, Premier peintre du roi, gravées à l’eau-forte par M. Pierre Adam, Goethe laissa aller sa plume. Face à la légende placée au bas de ce portrait – « Ferdinand Imécourt, Officier d’ordonnance du maréchal Lefèvre, tué devant Dantzig en 1807 (Peint en 1808) » –, il dut composer avec son imagination. « Par conséquent de mémoire ou d’après une esquisse. Ce portrait renferme une opposition curieuse. La carrière militaire de cet homme indique une âme avide d’activité utile ; sa mort prouve sa bravoure ; or tous ces traits de caractère, sous le vêtement civil, conservent l’incognito. Son air, son vêtement sont ceux d’un élégant [...]. Les traits du visage sont ceux d’un homme intelligent et calme ; [...] Dans le monde nous l’aurions pris pour un diplomate, et c’est une heureuse pensée d’avoir placé au milieu de ces hommes célèbres qui appartiennent à l’histoire la noble et belle prose du jour qui passe.» Le siège de Dantzig entraîna la mort de 11 000 habitants et de « seulement » 400 Français, dont un, Imécourt, qui n’aurait pas dû périr. Lors d’une vente chez Osenat, à Fontainebleau, le 5 juillet 2015, une lettre d’Henri Gatien Bertrand est en effet réapparue. Écrite le 30 avril 1807 – par celui qui sera bientôt nommé général – depuis le quartier impérial au château de Finckenstein, elle évoque juste- ment cet accident tragique : « Le jeune d’Imécourt y a été tué d’une balle il y a dix jours. Il paraît que c’est une sentinelle française qui a commis ce funeste événement. C’était la nuit. » Volontaire en 1805 pour la campagne de Hollande auprès de Louis Bonaparte, officier d’ordonnance du maréchal Lefebvre, sous-lieutenant au 7e régiment des hussards, Charles Ferdinand Théodore de Vassinhac d’Imécourt avait 21 ans et 9 mois.

Entretenir le souvenir
La présence au sein de l’armée impériale du fils d’une dame d’honneur de Madame Élisabeth et d’un premier lieutenant des gendarmes de Marie-Antoinette, n’était peut-être pas un hasard. Son père était mort avant qu’il ne souffle sa première bougie. Il ne connut aucun de ses grands-pères, tous deux marquis, ni ses oncle et tante du côté paternel.
Il perdit à 12 ans sa mère, mais il fut choyé par sa grand-mère maternelle et certainement par son oncle Bernard François de Chauvelin (1766-1832), un homme de son temps. Fils d’un intime de Louis XV, celui-ci fut comme son père maître de la Garde-Robe du roi, avant de suivre un parcours quelque peu différent : aide de camp dans l’armée des Flandres, ambassadeur à Londres en 1792, emprisonné pour trahison jusqu’au 18 Brumaire, membre et même secrétaire du Tribunat, préfet de la Lys (département français de 1795 à 1814 dont le chef-lieu était Bruges) à partir de 1804. C’est là qu’il devint l’un des hommes forts de Louis Bonaparte dans les Flandres... D’où l’engagement de son neveu pour la cam- pagne de Hollande. Le portrait en pied de Chauvelin par Joseph Odevaere, daté de l’année suivante, le montre dans toute sa prestance (Bruges, Groeningemuseum). Le 2 juin 1807, le peintre belge, qui quémandait le paiement du portrait de Madame Chauvelin, née Tavernier de Boullogne (œuvre sans doute inachevée et aujourd’hui non localisée), lui présentait justement ses condoléances après la perte de son neveu : « [...] Vous m’excuserez de renouveler votre douleur mais je n’ai pu m’empêcher de vous témoigner la part que je prenais à ce triste événement » (lettre publiée par Andries Van den Abeele en 2004). Les circonstances qui conduisirent la famille du jeune disparu à commander son portrait au Baron Gérard ne sont pas connues. Décidé à ne pas l’oublier, son frère aîné fit dans un premier temps graver une inscription en lettres capitales sur un monument funéraire dans l’église d’Inor, près du château familial : « À la mémoire de Ferdinand d’Imécourt par son frère. Blessé mortellement dans une sortie au siège de Dantzick à 9 h du soir, il expira le 7 avril 1807 à l’âge de 21 ans dans un bivouac à 6 h du matin. Regretté de ses chefs et de ses amis. Ses qualités attachantes et distinguées lui présageaient une heureuse carrière. [...] Son cœur qui repose ici a été remis à son frère par le maréchal Lefebvre dont il était officier d’ordonnance et son corps a été inhumé dans l’église de l’abbaye d’Oliva par les soins d’Alfred de Noailles son ami. »

Christine Boyer
et Ferdinand d’Imécourt
Comme Goethe, nous ignorons si le Baron Gérard avait réalisé une esquisse du portrait avant le drame. Joseph Baillio nous a aimable- ment signalé un dessin préparatoire conservé au musée de Rouen, mais aucune mention d’un masque funéraire ne nous est parvenue. Plusieurs portraits de famille sont mentionnés dans l’inventaire après décès de la grand-mère maternelle du jeune homme, mais aucun ne représente son petit-fils défunt, bien que ce soit elle, selon toute vraisemblance, qui ait financé la commande au Baron Gérard avec le résidu du compte de tutelle. Quant à l’inventaire après décès de son frère, il a disparu de sa liasse aux Archives nationales. Il est donc impossible à ce jour de savoir quel modèle permit au peintre de réaliser le visage du défunt. Peut-être, étant donné les circonstances, le maréchal Lefebvre œuvra-t-il en faisant réaliser un portrait dans le bivouac...
À l’écoute des aspirations des Imécourt, le Baron Gérard livre là une de ses œuvres les plus sensibles dont la composition doit beaucoup, comme nous l’a fait remarquer Joseph Baillio, au Portrait de Jean-Baptiste Isabey et sa fille, enfant (Paris, musée du Louvre). Ni le petit ricordo exécuté dans son atelier et conservé au château de Versailles, ni la gravure qu’en tira Adam et qui retint l’attention de Goethe ne rendent compte de la poésie de ce portrait en pied. Peint avec une matière extrêmement légère, le fond avec sa végétation évanescente donne le ton.
Comme sous le pinceau du Baron Gros, auquel Lucien Bonaparte commanda quelques années auparavant le portrait posthume de Christine Boyer, sa première épouse (Paris, musée du Louvre), la nature romanesque et la gestuelle du modèle partici- pent à la théâtralité du sujet. La « distinction » de ce jeune homme à la belle chevelure attire l’attention du spectateur. C’était justement l’un des mots choisis par son frère. Sa belle prestance, son port altier et son élégance n’ont d’égal que la douceur de son regard, « les qualités attachantes » mentionnées précédemment. Certains détails tels que les bou- tons nacrés du pantalon, la blancheur de la chemise peinte avec de beaux empâtements ou encore le très délicat tampon suspendu au veston par un ruban – est-ce le chiffre du maréchal Lefebvre ? – témoignent du soin infime du peintre, qui se laissa porter par l’histoire dont il fut le messager.
Le portrait, toujours sur sa toile d’origine, est demeuré jusqu’à présent chez les descendants du frère aîné de Ferdinand Imécourt. Rue de Varenne, chez la comtesse d’Hinnisdäl, l’abbé Mugnier s’en émeut mais commente, sarcastique : « On le préférerait en militaire, ce qui, rajoute la famille, donnerait plus de prix matériel au tableau. » C’était en 1922, mais nous sommes en 2022...


Vendredi 16 décembre, salle 4 Hôtel Drouot
Tessier & Sarrou et Associés OVV. M. Millet.