PRÉEMPTION OU ACQUISITION, UN CHOIX PAS SI SIMPLE


Publié par la Gazette Drouot

LE LÉGISLATEUR A OFFERT AUX MUSÉES DEUX ACTIONS AUX ENCHÈRES, À EUX D’EMPRUNTER LA BONNE VOIE ET DE GARDER LE CAP !

Pour 2017, Drouot annonce 234 préemptions, un chiffre en forte hausse par rapport à celui de 2016. La Gazette n° 44, du 15 décembre dernier, dressait un petit florilège de certaines d’entre elles. De fait, il ressort que préemptions et classiques acquisitions, toutes deux effectuées pour le compte des institutions muséales françaises, sont souvent confondues au moment des annonces des opérateurs. Il est vrai que les premières relèvent bien de la famille des secondes, mais elles s’en différencient par leur singularité. Il nous a donc semblé nécessaire de revenir sur cette double activité, essentielle aux ventes aux enchères comme au développement des collections muséales, preuve tangible des liens très forts existant entre les différents acteurs du monde de l’art.

DROIT RÉGALIEN
Le droit de préemption est l’avantage donné – soit par la loi, soit par une disposition contractuelle – de pouvoir se substituer à l’acquéreur d’un droit ou d’un bien pour en faire l’acquisi- tion à sa place, et dans les mêmes conditions. Il existe dans deux domaines aussi différents que le Code de l’urbanisme – dont il est un élément déterminant – et celui des biens meubles. Le législateur, par la loi du 31 décembre 1921, a attribué ce droit à l’État – et à toute autre collectivité publique, par l’article 24 de la loi complémentaire du 29 juillet 1987 – dans le cadre de la vente publique, sur une liste relativement large d’objets : antiquités, curiosités, livres anciens et tous les objets de collection (peintures, aquarelles, pastels, sculptures et tapisseries originales), auxquels s’ajoutent en 1979 les archives privées. Ce principe régalien est né en contrepartie de la suppression du contrôle sur les exportations d’œuvres d’art, intervenue en 1920 – celui-ci étant en fait rétabli en 1941. Ainsi, les musées détenteurs de ce droit n’ont plus à entrer dans le jeu des enchères, mais simplement à prononcer, au moment du coup de marteau, le désormais usuel « sous réserve de l’exercice du droit de préemption de l’État ». Une formule qui fait mouche appréhendée des acheteurs... surtout lorsqu’elle est confirmée à l’expiration du délai de quinze jours dont les musées bénéficient pour la confirmer. Son usage doit néanmoins être justifié, et pour cela, l’aspect historique des œuvres est déterminant. La préemption ne fonctionne d’ailleurs pas à chaque fois, l’enveloppe n’étant pas toujours assez conséquente. Souvenez-vous du spectaculaire coffre en laque du Japon du cardinal Mazarin, mis en vente le 9 juin 2013 par l’OVV Rouillac à Cheverny. Le musée Guimet est reparti bredouille, son « pactole » étant bien éloigné des près de 6 M€ engagés par le Rijksmuseum d’Amsterdam...

L’AUTRE VOIE
Parfois, les musées entrent dans le jeu classique des enchères pour acquérir le bien convoité – ou en tout cas de le tenter. On ne recourt alors pas à la préemption, mal perçue, surtout par des acheteurs étrangers qui ne comprennent pas ce droit unique, ce dont certaines institutions ont bien conscience. Lorsque, le 15 novembre 2017, le musée Picasso-Paris achète quatre éditions origi- nales du Désir attrapé par la queue, il renonce à exercer ce droit et se comporte comme un simple adjudicataire. Le musée de la Chasse et de la Nature faisait de même pour ajouter à son tableau le Portrait de Pierre-Simon Mirey, secrétaire du roi, conservateur des hypothèques, peint en chasseur par Louis Tocqué (voir Gazette 2017, n° 44, page 18). Dans son rapport annuel d’activité pour 2016, l’Établissement public du château, du musée et du domaine de Versailles annonçait douze achats en ventes publiques, dont cinq seulement avec exercice du droit de préemption ; le Louvre six, dont les deux pleurants en marbre du cortège funéraire du duc de Berry, pièces majeures de la sculpture du Moyen Âge. Dans un rapport publié en 1998, le Sénat recommandait de n’en faire usage que pour des œuvres de première importance, tout en reconnaissant quelques lignes plus loin qu’il s’agissait d’un vœu pieux, « compte tenu de l’insuffisance chronique des moyens » : c’est bien là que les bons sentiments se heurtent à la logique financière. La préemption constitue pour les musées territoriaux et les bibliothèques, peu dotés financièrement, la seule chance de pouvoir acquérir des pièces convoitées sans grever leur maigre bourse, situation que confirme la Direction des musées de France. De fait, le règlement des œuvres achetées par ce biais n’est pas prélevé sur leur budget propre, mais sur celui de l’État après accord sur leur intérêt, défini tout spécialement par le « lien entre l’objet ou l’ensemble à acquérir et la vocation du musée qui souhaite entrer cet objet dans ses collections » (loi du 4 janvier 2002, articles 10 et 11). Aucune préemption ne peut intervenir sans que le bien ait été auparavant soumis à une commission scientifique régionale, interrégionale ou nationale. Une démarche très cadrée, qui demande la rédaction d’une note argumentaire précise et donc forcément longue.
Il est du coup nécessaire que l’institution ait connaissance bien à l’avance de la mise en vente, pour avoir le temps de monter un dossier complet (voir Gazette n° 5, page 81). Car si les refus sont rares, ils le sont justement sur des raisons formelles. Tout récemment – l’exposition a fermé ses portes le 11 février –, le musée d’Orsay présentait l’ensemble d’œuvres de Camille Claudel préemptées par différentes institutions lors de la vente Artcurial du 27 novembre 2017. À cette occasion, l’État avait exercé son droit afin d’enrichir conjointement des collections publiques, nationales et territoriales. Ce pouvoir régalien prenait ici tout son sens.


Préemptions, 2016
81 lots, pour un montant de 9 059 045 €, par les musées nationaux.
102 lots, pour un montant de 1 915 625 €, par les musées territoriaux.
Chiffres du Service des musées de France (le bilan 2017 est en cours de réalisation).



Adjugé 40 600 €  –  Préemption de la BnF
Jean-Baptiste Fortin (1740-1817)
Ensemble de quatre sphères terrestre, céleste et armillaires.
Fin du XVIIIe siècle.
Diam. 23 cm.  H. 50 cm.
Paris, Drouot, 5 mai 2017.
Tessier & Sarrou et Associés OVV.