L’ATELIER DE DAVID OU LE SERMENT DU NÉOCLASSICISME


Publié par la Gazette Drouot

SON ÉCOLE ÉTAIT UN CREUSET DE JEUNES TALENTS QUE LE MAÎTRE ENCOURAGEAIT À S’EXPRIMER.
CETTE LIBERTÉ SE RETROUVE DANS LEURS FEUILLES DISPERSÉES PAR LES VENTS PORTEURS DES ENCHÈRES.

On parle là de « celui qui, maître d’une idée et soutenu par ses talents, a exercé pendant plus d’un demi-siècle en France et en Europe une influence directe, forte et constante sur les arts. » Ces mots écrits par Étienne-Jean Delécluze (1781-1863), son premier biographe, avec Louis David, son école et son temps (publié en 1855), résument l’histoire d’un génie. L’ouvrage, vivant et foisonnant de détails, apporte un éclai- rage unique sur une stature colossale qui a dominé l’art français de son temps et a rayonné sur une école essentielle. En 1781, l’exposition de son Bélisaire demandant l’au- mône connaît un énorme retentissement ; Jacques Louis David (1748-1825) est admis à l’Académie de peinture et reçoit de nom- breuses demandes de jeunes voulant recevoir son enseignement. Résidant au Louvre, il y aménage un atelier spécialement destiné à cet effet. On l’a bien vite surnommé « l’atelier des Horaces », car son célèbre Serment des Horaces y était accroché. La liste des élèves est impressionnante : plus de quatre cents noms y figurent ! David lui-même les a recensés dans le Manuscrit n° 316 de l’École des beaux-arts. Si certains ont disparu des dictionnaires de l’histoire de l’art, nombre d’entre eux sont devenus des maîtres à leur tour. Anne-Louis Girodet de Roucy, dit Girodet-Trioson, le baron Gros et François Gérard – entrés respectivement en 1784, 1785 et 1786 – sont de ceux-là. Jean-Auguste Dominique Ingres et Jean-Baptiste Isabey également. On croise encore dans cet inventaire l’épouse du célèbre chimiste Antoine Lavoisier, Marie-Anne Lavoisier, un futur professeur de peinture sur l’île Bourbon, Jean-Auguste Poussin, un homme également promis à un avenir politique, Auguste de Saint-Aignan, un sculpteur berlinois, Christian Friedrich Tieck, ou encore un peintre d’histoire américain, John Vanderlyn, sans oublier Pierre-Maurice Quays, chef de la « secte » des Barbus ou Primitifs. Ce surnom était donné à un groupe d’élèves entrés en dissidence contre les enseignements de leur maître, qui voulaient radicaliser le style néoclassique en ne prenant modèle que sur l’art grec. Il existait une autre « secte », celle des Crassons. Pour y être admis, « il fallait prouver que l’on fumait au moins trois pipes par jour ; que l’on ne changeait de linge que quand il ne tenait plus sur le corps et que l’on ne se lavait que malgré soi ou quand on s’exerçait à la natation »... Au-delà de l’anecdote, ces quelques exemples en disent long sur l’attrait de l’atelier. Il y régnait un climat de joyeuse émulation, de franche camaraderie, assorti de quelques rebellions et d’une intense production.

UNE JOYEUSE DÉMOCRATIE
David ne badinait cependant pas avec le sérieux à porter au travail et à l’exercice de l’esprit, passant notamment par l’étude, essentielle, des antiques. Dans les toutes dernières années du XVIIIe siècle, quatre artistes tenaient les premiers rangs de cette école : Gérard, Girodet, Gros et Isabey. François Pascal Simon Gérard, dit baron Gérard (1770-1837), jeune talent prometteur, y entre en 1786, après être passé chez Augustin Pajou. Grâce à la bienveillance de son nou- veau mentor, Gérard trouve à se loger au Louvre. Héritier fidèle, il s’inscrit dans le plus pur néoclassicisme, traitant les mêmes sujets, comme le Bélisaire présenté au Salon de 1797, qui lui ouvre les portes du succès. Ses œuvres sur papier sont plutôt rares sur le marché. Son portrait dessiné au crayon noir et à l’estompe par Jean-Baptiste Isabey avait été adjugé 42 840 € le 12 décembre 2015, chez Kapandji-Morhange à Drouot. Le 8 juin 2016, la maison Delorme Collin du Bocage accrochait un portrait familial plein de charme, dessiné par le baron Gros (1771-1835). La reine de Naples Caroline Murat y était représentée en compagnie de ses deux premiers enfants, Achille et Letizia. Cette étude exécutée vers 1803-1804 pour le tableau conservé au Palazzo Rasponi, à Ravenne, s’envolait à 35 000 €. Les belles feuilles d’Antoine-Jean, dit baron Gros – l’élève qui reprendra l’atelier en 1815 après l’exil du maître à Bruxelles –, se font tout autant désirer. Une plume titrée Les Victimes de la Saint-Barthélemy, dont l’amiral Coligny, apparaissent à Charles IXétait adjugée 27 262 € chez Millon, le 11 juin 2008, et Napoléon visitant le champ de bataille d’Eylau, une aquarelle, 17 500 € le 5 juin 2011, à Fontainebleau chez Osenat. La dispersion, le 22 mars prochain, de quatre-vingts de ses dessins provenant de la collection Gaston Delestre, chez Artcurial, devrait faire grand bruit. Le 8 juin 2016, à nouveau dans la vacation de souvenirs historiques organisée par Delorme Collin du Bocage, un Portrait équestre de Joachim Murat lors de la bataille d’Eylau réalisé par un élève de son atelier, très proche de l’une de ses études pour la Bataille d’Eylau (conservée à l’École des beaux-arts), caracolait à 6 000 €. Le troisième compère, Anne-Louis Girodet de Roucy, dit Girodet-Trioson (1767-1824), fournit des dessins plus régulièrement au marché. Lors de la dispersion des collections du château de Villepreux, le 8 novembre 2016 à Drouot par Olivier Lasseron, son Autoportrait de profil à gauche en buste daté de 1815 suscitait un bel intérêt, à 56 760 €. L’artiste s’y montre bohème et un tantinet révolutionnaire, annonçant du coup le romantisme. Le même après-midi, le Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups - Maison de Chateaubriand préemptait son Portrait de Monsieur Louis-François Bertin de Veaux pour 23 184 €. Deux ans auparavant, le 26 mars 2014, un petit paysage monta- gneux avec un serpent, provenant de la vente du baron Gros en novembre 1835, transperçait de ses flèches 130 200 € chez Auction Art Rémy Le Fur & Associés, établissant le record mondial pour une œuvre graphique du peintre (source Artnet).

LES LAURIERS DE LA RENOMMÉE
François-Marius Granet (1775-1849) et Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) appartiennent à la génération suivante. Ils intègrent l’atelier en 1796 et en 1797. Derniers survivants de cette période fastueuse, et bien que s’éloi- gnant du style néoclassique prôné, ils en prolongeront les effets pendant près de cinquante années. Les sept dessins d’Ingres de l’ancienne collection Marcotte vendus le 24 mars 2010 à Drouot, chez Thierry de Maigret avec l’assistance de René Millet, ont marqué les esprits. Provenance et qualité d’exécution s’y unissaient pour le plus grand bonheur des spécialistes. Le Portrait de Charles-Marie-Jean-Baptiste Marcotte d’Argenteuil, une mine de plomb de 1828, se hissait à 789 930 €, un beau prix pour un artiste rompu aux sommets. L’atelier de David était un lieu unique. Des jeunes gens très prometteurs ont pu y faire leurs armes avant de gagner en maturité et en liberté, pour ériger à leur tour une école nouvelle. « Le laurier de David de lauriers entourés », écrivait le poète Casimir Delavigne. Rien ne pourrait sonner plus juste.


12 FRANCS
C’est la somme mensuelle qu’un élève devait débourser pour recevoir l’enseignement de David, selon Étienne-Jean Delécluze, hors frais de modèles et de chauffage, payés à part. Mais la moitié des jeunes gens inscrits ne payaient pas et recevaient « l’enseignement gratis ».


Adjugé 58 800 €
Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867)
Le Docteur Norbert Hache
Crayon, signé, daté 1856, dédicacé « à sa chère belle-sœur Mlle Mathilde Ramel »
34,3 x 26,8 cm (à vue).
Paris, Drouot-Richelieu, 22 avril 2015.
Tessier & Sarrou et Associés OVV. Cabinet de Bayser.