FOCUS L’ASIE MENAIT DROUOT AU NIRVANA


Publié par la Gazette Drouot

Une vague venue des confins de l’Asie déferlait sur Paris en décembre. Elle était annoncée, mais pas d’une telle ampleur ! Cette seconde quinzaine asiatique de l’année à Drouot s’achevait sur un résultat frais compris de 28,7 M€, emportant la première place parmi les nombreuses spécialités présentées. Tout en haut de ce panthéon, la Chine dominait, époustouflante et écrasante, particulièrement les œuvres produites sous le règne du monarque Qianlong (1736-1795). Cachet, mais aussi sculptures bouddhiques, porcelaines et peintures, rien n’échappait à sa sagacité et à son érudition. Un ensemble de six peintures de son album impérial, Album illustré de l’ethnie Miao, rappelait son intérêt pour les minorités et son désir de tout savoir de son immense empire, pour ainsi mieux le contrôler. Il se feuilletait à 137 495 €, mardi 13 décembre à Drouot chez Auction Art Rémy Le Fur & Associés. Inde, Tibet, Japon et pays de l’Asie du Sud-Est apparaissaient ensuite sous la forme de sculptures, objets d’art et estampes, pour rappeler la vitalité de leur créativité.

IMPÉRIAL !
En salle 5-6, vendredi 16 décembre, ce n’étaient pas neuf dragons qui pourchassaient une perle sacrée, mais plusieurs collection- neurs chinois prêts à combattre, par enchères interposées, pour s’approprier un sceau en stéatite. Adjugé très précisément 21 093 100 €, il recevait un double prix : un record mondial pour ce type d’objets et la plus haute enchère de l’année à Drouot. Un objet d’art ? Oui, mais bien plus encore, un petit morceau de civilisation chinoise dont l’histoire – et celle de ses quelque 1 800 semblables, tous propriété de l’empereur Qianlong – vous avait été racontée dans la Gazette n° 42 du 2 décembre. Rappelez-vous ! La calligraphie qui se déployait sur la couverture était la sienne. L’oban yoko-e de la série « Fugaku sanjurokkei » (« Les trente-six vues du mont Fuji ») représentant La Grande Vague à Kanagawa, imprimé vers 1830-1832 et dessiné par Katsushika Hokusai (1760-1849), en stoppait sa course à 288 680 €.

FIL ROUGE
Lors des deux journées de vente Lévy (Millon OVV, Baron-Ribeyre OVV), toute l’équipe portait un œillet rouge, en souvenir d’un homme éclairé et discret. Ce fil rouge collait parfaitement au thème asiatique, puisque cette couleur était celle du cinabre des laques qu’il affectionnait. Les coupes et autres bols présentés trouvaient tous adjudicataire, pour des résultats à chaque fois supérieurs aux estimations avancées : 70 922 € pour la coupe destinée au thé des trois puretés de Qianlong, racontée dans l’encadré consacré à l’événement, 64 475 € pour une boîte couverte à décor végétal du même règne, et 51 580 € pour une coupe plate du XVIe siècle cette fois, période Jiaqing (1796-1820). Un vrai succès pour cet ensemble uniforme et authentique. Deux surprises venaient égayer ce long fleuve rouge (449 numéros en tout) : une épée votive du XVIIIe siècle, qui frappait 148 292 €, et une peinture verti- cale à l’encre et couleurs sur soie peinte en Chine, bien sûr, mais au sujet d’une jeune femme pensive vêtue à l’occidentale, dont la délicatesse était honorée de 45 132 €. Un bouddha conclura cette collection. Réalisée en bronze au Laos entre le XVe et le XVIe siècle et dotée d’une belle patine, sa tête baissait les yeux en signe d’assentiment à 19 085 €.

AILLEURS SUR LA RIVE DROITE
La vague rouge était partout à Paris. Chez Christie’s, où une statue du bouddha Vairocana partait pour 13,3 M€, établissant le deuxième plus haut prix de la quinzaine pour une pièce d’art asiatique, et une sculpture de Guanyin, pour 5,2 M€, mais également chez Sotheby’s,
Artcurial, Piasa et Tajan. Cette dernière maison décrochait 115 200 € sur une paire de calligraphies en rouleau à l’encre sur papier, présentées comme étant d’après Zhao Zhiqian – l’un des quatre grands peintres de l’école Haipai déve- loppée dans la seconde moitié du XIXe siècle – au début du XXe siècle, et 75 400 € sur un vase bouteille en porcelaine à décor au bleu de cobalt et rouge de cuivre sous couverte, époque Qing, XIXe siècle (h. 23,5 cm).
Un animal fabuleux en jade jaune datant de la dynastie Song (960-1279) ou même avant, haut de seulement 5 cm, s’amusait, fantasque, de la bataille qu’il provoquait chez Sotheby’s le jeudi 15 décembre. Disputée par quinze enchérisseurs, cette petite créature ailée pulvérisait son estimation haute de 150 000 €, pour se poser finalement à 4 207 500 €, et retenait la plus haute enchère d’une vacation dévolue aux jades archaïques chinois, comprenant l’ancienne collection Max Loehr. Le mardi 13, chez Artcurial, les arts d’Asie récoltaient un produit vendu de 1 085 269 €. Ceux du Japon s’illustraient avec les 27 300 € d’une boîte sphérique en laque or du XIXe siècle, entièrement décorée de feuilles d’érable en incrustation de nacre, corne de buffle et os teinté, et ceux de Chine, avec les 257 000 € d’une gourde en bronze doré et émaux cloisonnés d’époque Qianlong ainsi que les 78 000 € d’une statue en bronze laqué or du bouddha Amitabha, de l’époque Ming. Piasa fermait la marche le vendredi 16, assistée du cabinet Portier et Associés, et dispersait un remarquable ensemble d’estampes japonaises. L’enchère la plus élevée, 83 000 €, était portée sur un album d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), celui des « Cent vues d’Edo », l’une des séries majeures de l’artiste et source d’inspiration pour de nombreux peintres occidentaux, Van Gogh le premier. Katsushika Hokusai ne restait pas à l’arrière. Sa planche Kajikazawa dans la province de kei, pêcheur et son assistant sur un promon- toire recevait à elle seule 51 520 €. À l’instar de ses consœurs parisiennes, Piasa surfait égale- ment sur la vague... bleue cette fois.
Pas moins de quinze maisons de vente s’étaient donné le mot pour présenter des objets asiatiques. Lancement de la déferlante lundi 12 décembre en salle 11, chez Jean-Marc Delvaux, avec le déhanché à 62 600 € d’une langoureuse divinité féminine sculptée dans le grès rose du Madhya-Pradesh, entre le Xe et le XIe siècle (voir reproduction page de gauche), et en salle 6 chez Hubert L’Huillier et Roman de Pontac, avec la délicatesse d’une tabatière (h. 6,2 cm) en jade blanc en forme de galet ovale de l’époque Qianlong. 15 000 € se posaient sur ce petit objet finement décoré en relief de branchages feuillagés, parmi lesquels une abeille jouait. Mardi 13, un panthéon en bronze prenait place en salle 14 chez Gros & Delettrez. Amitayus, du haut de sa sagesse, recevait 33 280 €, et un boddhisattva déployait ses quatre bras pour attraper une enchère de 57 600 €. Il se reflétait dans un délicat écran en jade blanc à décor biface de deux scènes se déroulant dans un paysage montagneux, un objet chinois du XXe siècle supporté par un présentoir en bronze et émaux cloisonnés, qui le retenait à 30 720 €. Le 14, chez Copages Auction Paris, un portrait de lama vêtu d’une robe monastique, assis en vajrasana sur un coussin, assistait impassible à l’agitation des enchères, récoltant au passage 23 384 €. Cette statue de 25 cm, fondue au Tibet au XVIIIe siècle, avait été rapportée de Chine par M. Roger Meffereys (1899-1976), ambassadeur à Pékin jusqu’en 1946. Elle ne troublait pas non plus la méditation de Padmasambhava, assis et vêtu lui aussi de façon ascétique. Ce bronze à incrustations de cuivre et d’argent venait du Mustang au XIXe siècle et se tenait à 31 600 € dans la même vacation. Mercredi encore, cette fois en salle 4, des personnages peints par Leng Mei (1669-1742), officiant à la cour de Kangxi, puis à celle de Qianlong, égayaient une partie de l’album Zhi Gong Tu, daté de 1751. Assez truculents, représentants d’ethnies en costumes typiques, ils évoquaient à 63 800 € les liens de vassalité ou diplomatiques que la Chine entretenait avec les pays voisins.

DROUOT REVÊTAIT L’AMPLE HABIT DES LETTRÉS
De nouveau chez Christophe Joron Derem, une statue en bronze ciselé du Bouddha, vêtu d’une robe monastique aux plis souples, bénissait l’assistance attentive à 144 280 €. Cette sculpture présentait l’originalité d’avoir été fondue dans une période comprise entre les IXe et XIe siècles, quelque part aux confins de la Chine, sur la partie est de la route de la soie, dans l’empire des Xi-Xia occidentaux, connus également sous le nom de Tangoutes.
Tessier & Sarrou et associés exposait aussi ses bouddhas majestueux. Le premier, en bronze à traces de laque or et rouge, portait la date exacte de son exécution – la troisième année de l’empereur Jiajing, soit 1525 – et le nom de son auteur, le moine Tan Feng. Il s’asseyait en padmasana sur un socle lotiforme à 77 500 €, derrière les 125 000 € de Sakyamuni, une statuette en laiton à patine bronze, assis lui aussi, mais en dhyanasana et fondu au Tibet entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Vendredi 16, une paire de bols en porcelaine émaillée vert sur fond jaune décorés sur leurs panses d’enfants jouant d’instruments de musique, époque Yongz-heng (1723-1735), recueillait 47 500 €. La nature appartient au quotidien de tout lettré chinois. Liu Haisu (1896-1994) ne dérogeait pas à la règle... Des Pins rouges, tracés d’un pinceau dynamique aux encres rouge et noire sur un papier à la mi-automne de 1984, rappelaient cette réalité. Accompagnés d’une longue calligraphie, ces deux arbres, dont on ne voyait pas le sommet, s’élançaient tels deux amis vers 63 900 €, vendredi 16 chez Leclere - Maison de ventes. Juste avant, un gong en bronze utilisé dans les temples zen en Extrême-Orient, celui-ci fondu au Vietnam, résonnait à 25 560 €. Suspendu près du réfectoire, il était frappé pour annoncer les repas. Son appellation « yunban » signifie « plaque nuage ». En décembre, Paris entrait en lévitation sur un nuage venu du grand Est...


Adjugé 77 500 €
Statuette de Bouddha assis en padmasana sur un socle en forme de lotus, bronze à traces de laque rouge et or.
Chine, époque Jiajing (1522-1566).
H. (du bouddha) 40 cm.  H. (totale) 52 cm.
Lundi 19 Décembre, salle 16 Drouot-Richelieu.
Tessier & Sarrou et Associés OVV.  Cabinet Portier et Associés.

 

LOT n°231

Adjugé 125 000 €

Statuette de bouddha Sakyamuni en laiton à patine brune, assis en dhyanasana sur une base en forme de double lotus inversé, la main droite en bhumisparsa mudra (geste de la prise de la terre à témoin), la main gauche en dhyana mudra (geste de la méditation).
Les ongles et les ourlets de sa robe incrustés de cuivre, le visage laqué or. 
TIBET - XVIIe/XVIIIe siècle
H. 29,4 cm.

 
 Fiche détaillée