DU JADE AUX JADES CHINOIS


Publié par la Gazette Drouot

« IL Y A UN PRIX POUR L’OR, MAIS LE JADE EST INESTIMABLE », DIT UN PROVERBE CHINOIS. L’ADAGE SE VÉRIFIE AUJOURD’HUI ENCORE, RÉSULTATS APRÈS RÉSULTATS.

L’exposition exceptionnelle mise en scène au musée Guimet, magnifiée par les prêts du Musée national du Palais de Taipei, invite à un voyage à l’intérieur du jade, tout à la fois matériau, objet et image de l’univers. Ce sont les lettrés qui ont projeté sur la « belle pierre » toutes les valeurs qu’elle porte avec fierté et grâce, depuis des millénaires ; eux encore, qui lui ont donné une place tout à fait à part dans le monde chinois. Que peut-il y avoir de mieux que de se procurer ce don de la nature, qui tout ensemble exalte la bonté, la prudence et la sincérité, symbolise le Ciel et la Terre et dont émane une musique pure et claire ? Visiblement, de nombreux collectionneurs ont la réponse à cette question, et n’hésitent pas à investir des sommes colossales. Preuve en quelques chiffres...


LA SAGA DES SCEAUX IMPÉRIAUX
Débutée à Toulouse en juin 2008, à l’étude Chassaing-Marambat, avec le résultat de 5,4 M€ pour un sceau d’époque Kangxi, la légende dorée des sceaux impériaux en France a pris de l’ampleur au cours des années suivantes. D’ailleurs, c’est à nouveau dans la ville rose, et chez la même maison de ventes le 26 mars 2011, qu’un sceau, de l’empereur Qianlong (1736-1795) cette fois, en jade blanc légèrement veiné de rouille, surmonté de deux dragons enlacés et sculpté sur sa base de caractères signifiant « du pinceau impérial de Qianlong », était adjugé 12,4 M€, frappant alors un record mondial pour un sceau impérial. Son empreinte figure dans le Qianlong baosou, le recueil des sceaux de l’empereur passionné de calligraphie. Puis, parmi d’autres, les maisons Artcurial à Paris et Sotheby’s à Hongkong sont entrées dans ce cercle prisé. Pourquoi cet intérêt démesuré pour des petits objets au demeurant assez basiques en termes de décor ? Derrière cette modestie d’apparence, se cachent des emblèmes du pouvoir qui servaient à signer des manuscrits et qui souvent conservent encore des traces d’encre rouge. Leur histoire, remontant à la dynastie des Qin (221- 206 av. J.-C.), a suivi celle des souverains chinois. Alors, les toucher revient un peu à mettre sa main sur celle de l’empereur, en tout cas à s’approcher tout près du pouvoir. Et, au début des années 2000, en plein boom économique, leur acquisition devient inestimable pour des Chinois engagés dans la réappropriation de leur patrimoine – spolié après le sac de l’ancien palais d’Été par les troupes franco-britanniques en 1860 –, mais aussi de leur histoire, confisquée par la chape de plomb des années Mao. Alain Peyreffite l’avait prédit en 1973 : Quand la Chine s’éveillera... 
Aujourd’hui, la raison est un peu revenue. Les dernières enchères françaises concernant des sceaux en jade se situent autour de 1,7 M€ : 1,860 M€ chez Tessier-Sarrou & Associés le 16 juin 2014.


LES AUTRES TRÉSORS DE QIANLONG
Les objets de la « culture du jade » se répartissent en trois grands groupes. Le premier relève du domaine impérial, le deuxième du monde des lettrés et le dernier, des nombreux artisans qui, privilège suprême, sont mandatés pour les fabriquer. Avant d’attaquer son bloc, l’artisan doit réfléchir à sa destination, car – et on aborde là un point essentiel de la culture chinoise – la création de la nature et celle de l’homme doivent se rejoindre pour réaliser la « communion entre le ciel et l’homme ». La beauté du jade n’est jamais « donnée ». C’est le travail attentif de polissage et de sculpture du maître qui la révèle. De ce face-à-face entre un homme et une matière brute émergent des objets d’une beauté inouïe, ainsi que les collections présentées actuellement à Guimet en attestent. Tout comme certains jades passés dans les ventes spécialisées récemment, qui démontrent également que les sceaux impériaux ne sont pas les seuls emblèmes du pouvoir à affoler les enchères. Le 5 avril 2011, la maison Gros & Delettrez dispersait les trésors de Paul-Louis Weiller, un collectionneur qui avait l’ambition et l’érudition de ses envies. Un rhyton en forme de dragon, gravé à l’intérieur d’un poème composé par l’empereur Qianlong lui-même, se déroulait à 2 M€, et une coupe de même époque, astucieusement dotée d’anses formées de lingzhi retenant des anneaux mobiles et sonores, recueillait 1 012 500 €. Ses atouts : les symboles de longévité, de bonheur et de justice, qui indiquent clairement qu’elle fut fabriquée afin d’être offerte en cadeau de mariage. Les vertus intrinsèques véhiculées par la pierre s’y retrouvent, celles-là mêmes longuement décrites et vantées par le sage Confucius, qui la rattache à une essence divine. Et si posséder un jade, ce n’était rien d’autre que de suivre la maxime de Qianlong : « Qui obéit au Ciel prospère, qui s’y oppose se perd ? » Les objets de ce règne long et fastueux – soixante années, tant dans le domaine politique qu’artistique –, sont les plus nombreux en ventes aux enchères. 127 400 € pour une coupe en jade blanc chez Brissonneau le 23 mai 2014, 150 000 € pour un dérouleur de peinture céladon, chez Auction Art - Rémy Le Fur & Associés le 9 juin 2015, ou encore 60 100 € pour une boîte à herbes odorantes chez Jean-Marc Delvaux, le 12 juin 2014.


SECONDE CHANCE
Si pour le commun des mortels les jades prestigieux demeurent inaccessibles, il est tout de même possible de se procurer des objets dans ce matériau de vertu. Ils abondent dans les ventes aux enchères et, pour des sommes comprises entre 1 000 et 10 000 €, fibules, pendentifs, sujets, tabatières disques, miroirs ou plaques ajourées seront à vous. Dans une gamme de prix légèrement supérieure, se situent des godets de peintre, des porte-pinceau et des rince-pinceau, tous attributs des lettrés. Petits, certes, mais ils invitent à parcourir tout le vocabulaire décoratif de l’art chinois, habité de chimères et de phénix, de sages et d’enfants, d’animaux les plus variés et de fruits juteux, de dragons ailés et de fleurs de lotus. Tous ont leur signification, il n’y a jamais de hasard. De quoi avoir l’exquise sensation – à moindre coût –, d’être transporté dans la Chine millénaire des empereurs et des légendes... et d’en rapporter un délicat ornement.


2 690 
Le nombre de plaqettes de jage assemblées avec 1 kg de fil d’or pour le linceul de Liu Sheng, un prince de Han. Il s’agit du premier costume funéraire découvert en 1968.


LES OBJETS DU RÈGNE DE QIANLONG, LONG ET FASTUEUX, SONT LES PLUS NOMBREUX EN VENTES PUBLIQUES.