UNE CRÉATION À LAQUELLE IL ACCORDAIT UNE GRANDE IMPORTANCE

Publié par la Gazette Drouot

TAPIS, COUSSIN ET THÉÂTRE
Le chapitre le plus riche de la vente porte sur cette création, à laquelle il accordait une grande importance et qui fut pourtant longtemps occultée. À cette époque, le théâtre, souligne Michel Delon, qui a rassemblé ses textes pour la Bibliothèque de la Pléiade, constitue « d’abord une pratique sociale aristocratique. Les grandes familles se font aménager des salles de spectacle dans leur château et ne refusent pas de monter sur scène. Sade est également fasciné, comme nombre de ses contemporains, par le monde des comédiennes, souvent entretenues par de riches seigneurs. Lui-même a des maîtresses qui sont femmes de théâtre. Il n’échappe pas à cette ostentation sociale. » Le marquis voit aussi dans la production théâtrale, selon sa propre expression, le « meilleur moyen d’être connu de tous rapidement ». Ce besoin de trouver un revenu et une reconnaissance sociale tourne cependant à l’échec. De toutes les pièces qu’il propose à la Comédie-Française, une seule est acceptée (Le Misanthrope par amour), qui lui sera renvoyée sans être jamais jouée... Son écriture reste marquée par les codes de l’époque. Même s’il s’en plaint, il se plie aux intrigues fixées à vingt-quatre heures, nouant et dénouant des jeux de masques, des confusions d’identité et les méprises qui en découlent. Le XVIIIe siècle raffole de ces jeux. À l’instar d’un Molière, il dénonce la tyrannie des pères sur les épouses et les filles. Il aborde aussi les relations inces- tueuses. Mais, au dénouement, les amoureux se rendent compte qu’ils ne sont pas apparentés – ce retournement extravagant étant aussi un procédé usuel de l’époque.
La morale est sauve, mais l’auteur en profite pour évoquer le conflit opposant « les voix du cœur et de la nature », pour reprendre ses termes, au pouvoir de la famille et de la société. Libre, Sade court les théâtres. Enfermé, il se fait livrer les dernières pièces et les gazettes pour se tenir au courant d’une création qui s’ouvre à une plus grande liberté. « La crise du modèle classique, souligne Michel Delon, fait naître de nombreux genres nouveaux », des spectacles admis dans les foires à ceux joués sur les boulevards, l’écrivain appréciant tout autant « les effets spectaculaires des féeries-pantomimes que le pathétique larmoyant des drames bourgeois ». Délivré de la prison sous la Révolution, le marquis s’efforce de survivre comme homme de lettres et cherche à faire jouer ses pièces,
sans grand succès. Il ne renoncera pourtant jamais à cette forme d’expression. À Charenton, où il est interné de 1803 jusqu’à sa mort, le directeur, François Simonet de Coulmier, qui y voit une forme de thérapeutique, consent à le laisser en monter avec des malades et des comédiens.

L’ILLUSION THÉÂTRALE
Les représentations sont ouvertes à un public parisien. Mais un nouveau médecin en chef, le docteur Royer Collard, dénonce auprès du ministre de la Police la « corruption » des aliénés par cet homme pris « du délire du vice ».
En 1813 sont ordonnées l’interdiction des spectacles et la mise au secret de l’écrivain, avec, de plus, la privation de plume, d’encre et de papier. Soulignant la place du théâtre dans la relecture qu’elle a proposée de Sade, Annie Le Brun évoque notamment La Ruse d’amour, une pièce de cinq heures qu’il a conçue à la Bastille, dans laquelle s’emboîte une série de six spectacles, par laquelle il bouscule les conventions et « se montre maître de l’illusion théâtrale». Sade ne se contente pas des spectacles joués dans l’asile, renchérit Michel Delon, il se passionne pour cette technique illusionniste à un moment où la scène se sépare de la salle, qui devient le quatrième mur : « Les acteurs jouent comme si les spectateurs n’étaient pas là, on assoit le parterre qui s’assagit, on plonge la salle dans l’obscurité. La rampe sépare la réalité sociale d’une autre réalité, qui devient celle des désirs et des hantises ». Il y voit donc un point de jonction avec les romans que le marquis publie anonymement, dans lesquels « ses libertins recourent à des dispositifs théâtraux pour s’isoler de la vie quotidienne, pour échapper à la loi et au principe de réalité», devenant « spectateurs de leurs fantasmes en train de se réaliser ».