FRANK ELGAR, LE REGARD D’UN CRITIQUE D’ART

Publié par Drouot

BILAN 2020

La rencontre avec Fernand Léger donna naissance à une longue amitié. Frank Elgar (1899-1978) fut aussi l’auteur d’ouvrages sur Picasso, Miro et bien d’autres. Cette collection est le reflet de cette histoire d’amitié.

Roger Lesbats naît à Blaye en Gironde, lorsque le XIXe siècle s’achève, le 20 juillet 1899. Il se destine tout d’abord à une carrière de journaliste, rejoignant la rédaction du journal Le Populaire de Nantes participant à la revue Nantes le soir. ll collabore ensuite à l’hebdomadaire Carrefour, et devient le critique d’art du Parisien libéré. Reconnu après la Libération sous le pseudonyme de Frank Elgar, il assiste à la montée de l’art abstrait, ainsi que le relate l’obituaire du Monde à son décès en juin 1978 : il défendait « d’une plume compétente et sensible les artistes avancés de l’époque : Tal Coat, Pignon, Poliakoff... », ce qui ne l’empêchait pas « dans ses pages hebdomadaires de mener de retentissantes polémiques contre ce qu’il considérait être l’anarchie en peinture ». Il écrit pour les éditions Hazan des ouvrages sur Picasso, Braque, Miró et Léger, rédigeant aussi des notices pour le Dictionnaire des peintres. Si on ne peut dater précisément sa rencontre avec Fernand Léger auquel il vouait une profonde admiration, on peut la situer dans l’immédiat après-guerre ; en effet, le portrait de son épouse Marguerite, daté 1949, lui est offert et dédicacé. Figurant de cette vente il fut adjugé 332 800 €.
L’artiste reprend le procédé utilisé deux ans auparavant pour le Portrait de Paul Éluard, le visage dessiné d’un trait de pinceau noir devant un fond de lignes colorées. Une amitié admirative qui le pousse à défendre la peinture de « ce primitif des Temps modernes [...] Nul n’a mieux su voir que Léger la place éminente de la couleur dans le monde d’aujourd’hui. » Une autre oeuvre majeure de son ami entre dans sa collection : une Nature morte aux trois fruits de 1939, emportée dans cette vente contre 844 800 €. On y retrouve la quintessence de l’art de Léger : concilier en un même espace l’harmonie « des couleurs, des rythmes, des pleins et des vides, grâce encore aux lignes qu’il faufile à travers la composition et dont il ourle les bords ». Figure aussi dans sa collection, un témoin de l’intérêt de l’artiste pour un nouveau médium, la Composition en bleu et rouge, vers 1950, céramique glaçurée, portant le cachet « F. Léger Biot » au dos, avec un envoi « À Elgar amicalement », obtenait l’enchère de 17 920 €. D’autres artistes sont entrés dans son univers personnel comme Baltasar Lobo (1910-1993), représenté par Jeune femme ou Contemplation, qu’un amateur emportait à 21 760 €. Espagnol, républicain des premières heures, il est interné en 1939 au camp d’Argelès. Ayant pu s’enfuir, il débarque à Paris, muni d’une recommandation de Picasso ; avec un tel sésame, il entre dans le cercle de Laurens et de Miro, pratiquant une sculpture à la limité de l’abstraction, les formes arrondies réduites à l’essentiel. Un dessin plein d’humour et de charme du maître catalan orne la page de garde, avec la précision que « cet exemplaire a été imprimé spécialement pour Frank Elgar » de son Étude de l’œuvre de Pablo Picasso, parue chez Hazanen 1955. Toujours une histoire d’amitié.