Un primitif des temps modernes


Publié par la Gazette Drouot

En 1949, alors qu’il est en pleine recherche de stylisation, le peintre exécute à l’huile sur toile un Portrait de Marguerite Lesbats, qu’il lui offre et lui dédicace. Le visage de la dame apparaît dessiné d’un trait de pinceau noir devant un fond barré de bandes colorées (200 000/300 000 €)  – le procédé avait été le même pour celui de Paul Éluard.
Du pur Léger, exaltant la création d’un nouvel espace grâce à une distribution exacte des couleurs, des rythmes, des pleins et des vides, grâce encore aux lignes qu’il faufile à travers la composition. Si son style est évident dans cette œuvre, il l’est tout autant sur la Nature morte aux trois fruits de 1939, (voir l'article Quand Léger retrouve ses racines de la Gazette n° 4, page 6) – et qui est à rapprocher de la Composition à la plante verte (n° 1058 du catalogue raisonné) et de la Composition aux deux réveils (n° 1059) – dont 600 000 à 800 000 € sont attendus. Ces deux œuvres majeures sont ici entourées du pastel préparatoire de la seconde (12 000/15 000 €), de deux aquarelles, d’une gouache (L’Assiette de fruits, 10 000/15 000 €), de deux lithographies, d’une encre et d’une céramique glaçurée (Composition en bleu et rouge, vers 1950, 4 000/5 000 €), toutes pièces signées du maître de Biot. Une lettre adressée par Nadia Léger en 1956 exprime au mieux de la relation qui liait les deux hommes (200/300 €). La veuve du peintre, touchée par l’article qu’Elgar lui consacre dans la revue Carrefour, écrit à ce dernier : «Votre article a eu le pouvoir et cela m’a fait un énorme plaisir, de me redonner vivant notre grand Fernand.» D’autres également avaient les faveurs de sa collection. L’art moderne n’ayant pas de frontières, grands maîtres et plus petits noms se côtoyaient. Frank Elgar vivait la peinture abstraite comme on écoute de la musique, en cherchant à capter l’intériorité émotionnelle sans s’attarder sur une identification ou une représentation figurative. De Francisco Borès à Édouard Pignon, en passant par Charles Lapicque ou Gérard Schneider, il avait accroché quelques œuvres sur papier. Cette vente va permettre de redécouvrir le travail de l’expressionniste américaine Janice Biala (1903-2000), dont une Composition de 1958 (800/1 000 €) fait écho à la quête du critique ; celui de Léon Gischia (1903-1991) aussi, dont Elgar disait qu’il s’efforçait «courageusement d’inventer un langage où espace, lumière et forme se trouvent élevés au même degré d’évidence» (300/400 € pour une tempera sur papier de 1962, Nocturne n° 6). Une femme palpitante en bronze de Baltasar Lobo (1910-1993) retient l’attention. Membre des Jeunesses libertaires et proche des artistes d’avant-garde espagnols, l’artiste est un républicain de la première heure. En 1939, fuyant le franquisme, il est interné au camp d’Argelès, s’en échappe et arrive à Paris nanti d’une recommandation de Picasso. Dans la capitale, il rencontre Miró et Henri Laurens, qui l’aide à régulariser sa situation. Sa réputation dépasse vite le cercle militant. Son style appartient à la fois aux sculptures archaïques primitives et au cubisme, dont il s’est nourri. La figuration est simplifiée à l’extrême. C’est ce qu’expriment les courbes de cette Jeune femme ou Contemplation (12 000/18 000 €, voir ci-dessous). Rien d’étonnant à ce qu’elles aient séduit le critique.