UN VASE NAZCA de la collection Frank Elgar

par Bénédicte Hamard, expert auprès de la FNEPSA et du CEDEA



Durant le confinement, les experts collaborant avec l'étude Tessier & Sarrou partagent leurs connaissances et leur passion.
Cette semaine, Bénédicte Hamard, expert en Art Précolombien, vous présente cette céramique Nazca.

 

Vase représentant un prêtre 
Terre cuite brune à engobe polychrome 
Culture Nazca, Pérou 
400 - 600 apr. J.-C. 
H. 24 cm
 
La céramique Nazca

Héritiers de la culture Paracas qui les a précédé, les artistes Nazca développent leur technique de céramique jusqu’à en faire leur moyen principal d’expression. Elle devient leur support de prédilection pour représenter leur vision du monde et leur croyances. 
La céramique nazca se distingue des phases précédentes par des parois d’une grande finesse, des décors polychromes et une certaine « horreur du vide ». Les formes sont variées : coupe évasée, vase tubulaire, bouteille simple, anthropomorphe ou zoomorphe, gourde et vase pansu à double goulot. La phase II, qui se situe entre 400 et 600 apr. J.-C marque l’apogée. La surface des récipients est couverte de motifs, souvent cernés de noir, prenant place sur fond crème.
 
          

Les artistes ont élargi la gamme des couleurs avec une déclinaison de brun, d’ocre, de rouge et de crème mais aussi de gris et de violet, qui font de cette période une des plus évoluées techniquement. Ils utiliseront jusqu’à 12 teintes différentes sur un même vase. Ces couleurs constituées de pigments minéraux comme l’oxyde de fer, l’hématite, la limonite et le manganèse forment l’engobe. Elles étaient appliquées avec des pinceaux sur la terre crue puis fixées par la cuisson. La richesse des coloris révèle une parfaite maitrise des fours à haute température et une cuisson sous atmosphère anaérobie. 


Une iconographie riche de symboles 

Cette bouteille à fonction rituelle, nous décrit un haut dignitaire vêtu pour une cérémonie. 
Le corps du personnage disparaît sous un ample poncho qui constitue la panse. La tête, ornée de peintures corporelles, est placée sur le goulot légèrement renflé et une coiffe ou une coupe forme l’ouverture. Au dos vient se fixer une anse qui se rattache à un second goulot plus fin. Cette typologie de bouteille est caractéristique de la phase II Nazca avec un décor qui se développe sur toute la surface, mêlant des motifs géométriques à des motifs mythologiques, le tout sur fond crème. 

L’iconographie de son poncho nous décrit une scène métaphorique de la fertilité, dont le sujet principal est la divinité « masquée », icône du culte des têtes coupées (Huayo).

Le décor du poncho, vêtement traditionnel du Pérou précolombien, s’organise différemment sur les deux faces. Le devant est constitué de deux panneaux à motifs en zigzags alternés de losanges avec point central, noirs à gauche et rouges à droite. Le dos est, quant à lui, animé de deux registres. Le premier en haut représente deux divinités anthropozoomorphes, dos à dos, le fameux dieu masqué. 

Il s’agit de la divinité principale du panthéon nazca et la plus complexe. Un de ses principaux attributs est cet imposant bijou nasal (nariguera) qui lui encadre la bouche et forme des moustaches sur les côtés. Ici les moustaches deviennent des serpents stylisés et on distingue deux visages sous la bouche.
 

Détail d’un vase à tête de divinité masquée
Culture Nazca, 400 – 600 apr. J.-C

De part et d’autre de sa langue bifide, on perçoit d’autres aspects zoomorphes caractéristiques avec les pattes de jaguar et les griffes. Au dessus de ses yeux cernés de noir, un diadème représentant un visage englobe tout le haut de son crane. Sa coiffe reprend le motif du serpent à langues bifides, dont le corps forme une volute. Le serpent central est avalé par un autre visage dont l’iconographie devient plus complexe puisqu’il se constitue de multiples visages imbriqués et stylisés. Les deux du haut ont une excroissance centrale qui s’apparente à une pousse végétale.
 

Le deuxième registre est orné de motifs de serpents blancs et rouges organisés en quinconce. Enfin une bande à têtes de trophées stylisées, les cheveux relevés en forme de « T », souligne le pourtour du poncho. 

La présence dans la partie inférieure des têtes de trophées, vient appuyer l’identification du dieu masqué, emblème du culte des huayo. C’est un thème récurrent dans l’art nazca, qui fait référence à l’idée de la graine que l’on plante en terre et qui repousse. Certains peuples Quechua considèrent que le « camac » ou l’énergie vitale, est situé à l’intérieur de la tête. Les têtes ainsi déposées en offrandes comme sur le site de Cahuachi, un des plus important connu à ce jour, libèrent cette énergie pour la transmettre aux lieux sacrés et aux divinités qui y sont rattachées. 
Ce décor fait aussi référence au rôle majeur des activités guerrières et au rang social élevé de ces hommes. Les serpents quant à eux sont annonciateurs de pluie.
 

Site de Cahuachi, Pérou

Ainsi la divinité masquée, accompagnée des têtes de trophée et des serpents, concentre tous les pouvoirs pour invoquer la fertilité : fertilité de la terre pour les récoltes agricoles dans une région aride, mais aussi fertilité de la cité et des hommes. Nous pouvons penser que le personnage vêtu de ce poncho riche de signification, est un prêtre dans l’exercice de ses fonctions.


Les Nazca
 

La culture Nazca se développe sur la côte sud du Pérou, dans les vallées de l’Ica, Nazca, Palpa, Pisco et Rio Grande, entre 100 av. J.-C. et 600 apr. J.-C. Elle est principalement connue pour ses mystérieux géoglyphes représentant des animaux, des végétaux et des êtres anthropozoomorphes, inscris dans le désert. Les artistes nazca nous ont aussi livrés de magnifiques céramiques polychromes, des textiles raffinés et des bijoux en or d’une grande finesse. La plus grande cité est Cahuachi, un important centre cérémoniel et lieu de pèlerinage avec une pyramide de 110 m de haut et divers bâtiments, le tout s’étendant sur 24 km2.