COLLECTIONNER LE MINUSCULE EN GRAND

Publié par la Gazette Drouot

DANS LES QUELQUES CENTIMÈTRES DU NETSUKE, TOUTE L’HABILETÉ DU SCULPTEUR JAPONAIS SE TROUVE CONDENSÉE. 
MONSIEUR G. AVAIT CÉDÉ À LEUR FANTAISIE, ET SON ENSEMBLE, DISPERSÉ LE 10 OCTOBRE PROCHAIN, COMPORTE DE RÉJOUISSANTS OBJETS.

Les Japonais n’ont rien à apprendre de Monsieur de La Fontaine. Bien avant la publication des fameusesFables, bœuf, grenouille et rat s’épanouissaient déjà sous leur ciseau habile. Mais aucun de ces animaux ne cherchait à devenir plus gros que l’autre, contraint par la petitesse du cadre dans lequel il devait s’insérer ! On connaît l’amour – voire la dévotion – de l’archipel pour la nature. C’est dans cet univers généreux que l’artisan est allé chercher la source de son inspiration, traquant ses moindres détails pour coller au plus près de la vérité. Il en est allé ainsi pour la fabrication du netsuke, ce minuscule objet de parure du vêtement traditionnel masculin. Tout petit, mais ô combien riche, il suscite bien des envies, et ce n’est pas Monsieur G., dont la collection se retrouve demain à Drouot, qui aurait dit le contraire. Esprit curieux, l’homme s’était intéressé aussi bien à l’argenterie qu’aux presse-papiers et aux netsuke. C’est à partir des années 1970 qu’il leur ouvre ses vitrines, arpentant les salles de ventes pour dénicher de nouveaux petits habitants. L’heure étant alors aux grandes ventes du Japon (la Chine conquérante n’occupe pas encore tous les esprits), il n’a aucune peine à trouver objets à rassembler.


JAMAIS SANS MON NETSUKE

Les netsuke n’ont jamais quitté le devant de la scène, mais avec cette saison « Japonismes 2018 » programmée dans toute la France – le 17 octobre, le musée Guimet invite notam- ment à découvrir « Meiji, splendeurs du Japon impérial » –, la date de la vente ne pou- vait être plus judicieuse... De fait, il y a tout juste cent soixante ans, après plus de trois siè- cles de repli total, le Japon s’ouvrait à l’Occident. Au revoir l’époque Edo (1603-1868), bienvenue à l’ère Meiji (1868-1912). S’ensuivra une véritable déferlante. L’arrivée en Europe de cargaisons d’estampes, de livres et d’objets divers provoque immédiatement l’engouement de toute une génération d’artistes, d’écrivains et de collectionneurs avides de nouveautés et d’exotisme renouvelé. Les Expositions universelles en seront le vecteur indispensable. Les netsuke y prennent toute leur – petite – place. Le Japonais, à partir du XVIIe siècle et selon une mode vestimentaire empruntée au grand voisin chinois, prend pour habitude de fixer à l’obi (« ceinture ») de son kimono, par un cordon, de menus objets du quotidien. Ceux-ci sont suspendus et, pour éviter qu’ils ne tombent, il faut bloquer l’extrémité. Ce sera fait par le netsuke. C’est ainsi que naît sa coutume. Elle durera aussi longtemps que durera la tradition. Les premiers modèles sont très simples, prenant la forme d’un petit bâton percé de deux trous. Les artistes ne mettront pas longtemps à voir le champ des possibles qui leur est offert, et très vite apparaissent des petites sculptures aussi fines que détaillées, qu’un maître réalise en deux à trois mois. Les matériaux sont nombreux et des plus éclectiques : buis, ébène, cyprès, bambou, corne de cerf – animal abondant dans l’archipel –, ou encore ambre, corail, porcelaine et ivoire - importé car il n’y a pas d’éléphant sur ces îles. Les sujets les plus fréquents sont les animaux, réels ou mythologiques, les démons, les héros et les divers métiers. Ils sont répartis selon trois catégories : les manu (de forme arrondie), les sashi, allongés, et les katabori, en rondebosse. Mais demeure une contrainte : ils ne doivent pas gêner le mouvement et dépassent donc rarement les huit centimètres.


FINESSE ET INVENTIVITÉ

La collection de Monsieur G. est exemplaire à plus d’un titre : la provenance des pièces, acquises en quasi-totalité dans les années 1970 en ventes aux enchères françaises ou chez des galeristes londoniens reconnus (voir encadré page 17), la variété des matériaux et des modèles choisis – avec semble-t-il une préférence pour les représentants du monde animal et des fables –, leur fabrication datant principalement de l’époque Edo et leurs signatures étant référencées. Avouons un coup de cœur pour celui figurant une grenouille debout portant un eboshi (sorte de chapeau), des geta (socques en bois) et une ombrelle (voir reproduction page de droite 3 000 / 5 000 €). Le modèle est connu, il fait référence à l’histoire d’Ono no Tofu, un calligraphe du Xe siècle, qui prit exemple sur la ténacité d’un batracien croisé sur un chemin lors d’un voyage, qui huit fois s’y reprit avant d’atteindre la feuille convoitée, pour réussir sa propre carrière. De nombreux exemplaires sont signés : Masakatsu pour une pêcheuse d’awabi en buis (1 500 / 2 000 €), Sari pour un escargot rampant sur sa coquille (3 000 / 4 000 €), Toyomasa pour un dragon enroulé sur lui-même se lovant dans une grande feuille (5 000 / 6 000 €), Mitsuhiro pour un crabe sur son rocher croisant ses pinces (6 000 / 8 000 €), Mitsuharu de Kyoto pour une bufflonne couchée, son veau blotti contre son flanc (8 000 / 10 000 €)... Les écoles fleurissaient dans tout le Japon, tant la demande était importante. Certaines ont donné vie à de véritables petites merveilles et ont vu s’épanouir le talent de jeunes apprentis qui deviendront des maîtres reconnus et honorés. Masanao de Kyoto, officiant entre le milieu et la fin du XVIIIe siècle, en fait partie : c’est à lui que l’on doit le rat exceptionnel de naturalisme de cette collection, comprenant aussi des sujets accessibles à partir de quelques centaines d’euros. Mais l’on risque plus à tomber sous le charme d’une paisible vache en ivoire,
couchée, sa longe passant sur son dos et son front, son veau auprès d’elle lui léchant la joue. Ce netsuke, remontant lui aussi au XVIIIe siècle, est signé Tomotada. Velouté du pelage, réalisme des attitudes et tendresse s’y expriment en 6,7 cm, et pour 10 000 à 15 000 €.