La Corse d'un roi à un empereur

Publié par la Gazette Drouot

DÉCRYPTAGE
L'île déployée en majesté sur cette carte due au brio d'un duo amstellodamois du XVIIIe siècle, Covens et Morter, nous raconte une part méconnue de son histoire.


Ce document historique colorié confirmant le juste surnom de la Corse : L'Île de Beauté.
Adjugé 7 500 € en Avril dernier par l'étude Tessier & Sarrou


Décryptage de cette carte et de ses différents composants :

DES PRODUCTIONS ENSOLEILLÉES
Élégant, ce cartouche baroque inscrit cette carte dans l’art décoratif en vogue toute la première moitié du XVIIIe siècle.
À l’intérieur, un texte en latin désigne les principales productions agricoles de l’île, qui ne subiront pratiquement aucune modification tout au long du siècle. La culture du châtaignier en est l’une des plus emblématiques. Elle s’accompagnait de champ de céréales dans la région de Bastia, de plantations d’oliviers en Balagne, de vergers près d’Ajaccio et de vignobles autour de Saint-Florent. Les forêts abondantes fournissaient également planches de sapin et encore de châtaignier, qui s’exportaient vers Gênes.

UN ROI AVENTURIER
Le saviez vous ? Avant d’avoir porté en son sein un empereur, la Corse a été – certes, un temps très court – sous le règne d’un roi. Le XVIIIe siècle est une période de troubles importants pour l’île, que les Génois tiennent sous leur emprise. Exaspérés, les Corses multiplient les révoltes et, en 1735, la Consulte d’Orezza adopte une constitution qui organise de manière autonome leur gestion.
La République génoise ne peut le tolérer et mène la répression.
Dans ce contexte, en mars 1736, Théodore von Neuhoff, un noble aventurier westphalien, débarque les cales remplies d’armes et d’argent et, promettant le soutien des cours européennes, il réussit à se faire sacrer roi le 15 avril suivant. Son règne sera bref, les Corses se rendant compte rapidement de leur méprise – ou du coup de bluff ! Le roi quitte subrepticement l’île en novembre de la même année...

UNE ÎLE CONVOITÉE
Les côtes littorales de la Corse se déploient sur près de 1 050 kilomètres, qui font de l’île la troisième de la Méditerranée. Tout aussi doués étaient-ils, Jean Covens et Corneille Mortier, les deux associés de la maison d’édition amstellodamoise, ne le savaient pas encore lorsqu’ils imprimèrent cette carte, vers 1737. Née de l’association d’un Français et d’un Hollandais en 1721, la maison se spécialise dans la diffusion de cartes qui feront sa renommée dans toute l’Europe. Au caractère rigoureux, indispensable à tout cartographe qui se respecte, ils sauront ajouter une touche décorative grandement appréciée.

UN PEUPLE FIER
Trois fiers représentants du peuple corse viennent ici encadrer un cartouche de titre et rappeler les particularités de leur terre. Tandis qu’un marin accoste sur l’île, un triton vient lui présenter des coraux, l’un des bienfaits que la mer produisait alors en abondance et qui représentait une monnaie d’échanges particulièrement appréciée. Un paysan porte un sac lourdement rempli (châtaignes, olives ?) et un jeune homme, portant poignard au ceinturon, guide deux chevaux par les rênes. Jean Covens et Pierre Mortier, les deux cartographes, offrent avec ce document l’une des plus belles cartes de la Corse.