Les routes de Charles Péguy
Publié par la Gazette Drouot
La vie trop courte de Charles Péguy fut empreinte d’engagement social et de passion mystique. Sa foi lui a inspiré de nombreux poèmes, marqués par la cathédrale Notre-Dame de Chartres. Le bibliophile aime les retrouver dans le désordre.
« Nul, entre tous les nôtres, n’est aujourd’hui plus vivant et plus proche que Péguy. Ce que la France honore en lui, c’est le fils de sa fidélité, le témoin de sa misère, l’annonciateur de son salut », écrivait le futur académicien Henri Massis (1886-1970), qui fut un ami proche de l’écrivain, de 1910 à 1914. Charles Péguy, né à Orléans en 1873, est tombé au champ d’honneur le 5 septembre 1914, le premier jour de la première bataille de l’Ourcq, à Villeroy, la veille de la bataille de la Marne. Depuis ce jour, sa mémoire est autant marquée par son engagement socialiste que, surtout, par sa conversion au catholicisme. Son œuvre multiple a été ensevelie de son vivant par la critique, ce qui explique peut-être a contrario, l’intérêt qu’on lui porte aujourd’hui, alors que l’on vient de fêter le 150e anniversaire de sa naissance. Inspiré par les mystères médiévaux, son travail a aussi pris la forme d’une écriture poétique en vers libres, sans négliger pour autant les vers réguliers. La pièce la plus marquante dans ce style est La Tapisserie de Notre-Dame (Paris, Cahiers de la Quinzaine, 1913, in-8°). Un exemplaire sur papier Whatman, relié par Huser, en maroquin grenat janséniste, a été adjugée 1 800 €, en avril 2015 par Drouot Estimations. Ce long poème inspiré évoque notamment Jeanne d’Arc, qui fut pour l’auteur un symbole de l’héroïsme, auquel il resta toute sa vie profondément attaché. C’est dans ce texte que l’on peut lire la « Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres ».
Amitiés
Le premier véritable succès de Péguy fut Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc. Il fut salué par Maurice Barrès et André Gide, ce qui contribua à son lancement. Péguy, dans les années 1908-1910, après avoir définitivement délaissé le socialisme incarné par Jaurès, se pencha sur la mystique de l’Histoire et engagea un combat pour la justice et les droits de l’homme. Après cette Jeanne d’Arc, parue en 1910, il reprit la plume et donna l’année suivante Le Porche du mystère de la deuxième vertu puis, en 1912, Le Mystère des saints innocents. « C’est dans les trois mystères que la “manière” de Péguy – vers libres ponctués de quelques alexandrins isolés, répétitions, variations – se déploie pleinement », explique l’expert Michel Scognamillo. Ces trois ouvrages (Paris, Cahiers de la Quinzaine, 1910-1912, trois forts volumes in-12), reliés par P.-L. Martin en maroquin cerise janséniste, ont été adjugés ensemble 11 650 €, à Drouot, le 28 juin 2017 par la maison Pierre Bergé & Associés lors de la dispersion de la bibliothèque de Pierre Bergé consacrée à la musique.
Le texte du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc est une reprise partielle du drame en trois pièces intitulé Jeanne d’Arc, de 1897 (Paris, Librairie de la Revue socialiste ; G. Richard et Husson à Suresnes ; décembre 1897, grand in-8°), publié sous le pseudonyme de Pierre Baudouin. Un exemplaire avec un envoi à Albert Lamy, broché dans une boîte bleue moderne, a été vendu 600 €, le 9 juillet 2024 par la maison Rossini, François-Xavier Poncet étant au marteau, assisté par Dominique Courvoisier. Péguy a en effet utilisé plusieurs pseudonymes. Outre ses initiales « CP », choisies pour des raison pratiques car il était boursier et ne pouvait signer aussi des articles, il se fit appeler Pierre Deloire, Jacques Deloire, Jacques Daube ou Jacques Laubier. Pour diriger la librairie qu’il fonda, en 1898, il emprunta le nom de son cama- rade Georges Bellais. « Après la mort de son ami Marcel Baudouin, survenue précocement le 25 juillet 1896, Péguy signe sa Jeanne d’Arc de 1897 “Pierre et Marcel Baudouin”. L’année suivante, l’utopie Marcel est signée cette fois exclusivement Pierre Baudouin », rapporte Alexandre de Vitry, auteur d’une étude sur les pseudonymes du poète.
Le tournant de 1910
Péguy conserva son nom dans tous ses écrits inspirés par la cathédrale de Chartres, vers laquelle il porta tous ses regards à partir de 1910, date de sa conversion à la foi catholique. Elle le conduisit à explorer de nouvelles voies littéraires. Après la grave maladie de Pierre, son deuxième fils, âgé de 8 huit ans, l’écrivain fit le vœu de faire un pèlerinage à Chartres. Il se mit en route le 14 juin 1912, accompagné par Alain-Fournier. Durant cette marche, sa poésie prit la forme d’une prière à Marie, en une longue évocation du pèlerinage : « Vous nous voyez marcher sur cette route droite, / Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents. / Sur ce large éventail ouvert à tous les vents / La route nationale est notre porte étroite. »
Après trois jours de marche, il aperçut dans la plaine de Beauce la « flèche inimitable » de la cathédrale.
Charles Péguy prit à nouveau en 1913, le chemin de la ville d’Eure-et-Loir, cette fois depuis la région parisienne. C’est à ce moment qu’il composa son poème « La Route de Chartres ». Il fut suivi par « Cinq prières dans la cathédrale de Chartres », que l’on peut lire grâce à l’édition illustrée par 32 images en couleurs de Nathalie Parain (Gallimard, 1950). Une partie des dessins préparatoires à l’illustration de cet ouvrage – neuf gouaches (une signée) et un dessin au crayon avec rehauts de gouache noire et blanche – a été vendue 1 000 €, à Drouot, le 2 avril 2008 par la maison Beaussant Lefèvre. Les poèmes de Charles Péguy volent d’éditions particulières en éditions illustrées. Il est ainsi devenu l’une des pierres mythiques de la cathédrale : « Voici le monument, tout le reste est doublure. / Et voici notre amour et notre entendement. / En notre port de tête et notre apaisement. / Et le rien de dentelle et l’exacte moulure. »
Adjugé : 922 €
Charles Péguy (1873-1914)
Trois pages in-8° manuscrites, non signées, de son texte destiné à accompagner un catalogue des dix premières séries des Cahiers de la Quinzaine, célébrant le dixième anniversaire de leur création (janvier 1900).
Jeudi 19 décembre 2024, Hôtel Drouot.
Tessier & Sarrou et associés OVV.